EDITO

Bureaucraties

Un an aura passé depuis l’accession au pouvoir de Sarkozy, sans réaction convergente majeure des salariés pourtant premières victimes des « réformes » menées tambour battant par le pouvoir. Aux attaques annoncées dans le programme de l’UMP ou du Medef sont venu s’ajouter les conséquences de la spéculation financière sur les matières premières, avec des plans de licenciements, des fermetures d’usines, et un niveau de vie sensiblement diminué pour le maintien des profits boursiers. Et pourtant… la riposte n’est pas venue.

Elle n’est pas venue des partis de la gauche officielle et institutionnelle. Le Parti socialiste a passé quelques mois à critiquer le gouvernement sur la forme, le président sur son style, tout en étant d’accord sur le fond des réformes. Il faut dire que cela n’est pas nouveau. La casse des services publics au nom de la « modernisation », la précarisation des salariés du public comme du privé, la chasse aux sans-papiers, les attaques contre les chômeurs, le laminage des retraites : tout cela la gauche plurielle (PS, PCF et Verts) l’a pratiqué quand elle était au pouvoir jusqu’en 2002, et seuls ceux qui ont la mémoire courte et sélective peuvent l’avoir oublié. Pour le reste, le PS a relancé sa guéguerre des chefs pour 2012, puisque c’est ce qui l’intéresse et non pas le sort de la population.

La riposte convergente n’est pas non plus venue des appareils syndicaux qui, à l’inverse, ont passé le printemps à égrener les journées d’action et à disperser la mobilisation sociale : un jour les retraites, un autre la Fonction publique, un troisième les 35 heures, etc. Il faut dire que simultanément, les bureaucraties dirigeantes des principales centrales syndicales, CGT et CFDT en tête, ont pratiqué la négociation-marathon avec le Medef comme avec gouvernement. Pour obtenir quoi ? L’évitement de la grève pour sûr. Sur le fond, Fillon et Cie ont pour l’instant gagné sur toute la ligne.

Pour qui se situe dans le camp de la majorité, il y  a une sorte de paradoxe : notre faiblesse collective nous met en situation de dépendance à l’égard d’organisations dont les chefs sont de fieffés bureaucrates, garants des intérêts d’appareils dont ils se disputent la « représentativité » plutôt que de ceux des travailleurs. Ce n’est pas faute de lutter, puisque les multiples mobilisations des dernières semaines, des travailleurs sans-papiers aux salariés licenciés en passant par les fonctionnaires, indiquent qu’une fraction notable des salariés n’est pas prête à baisser la garde.

Là où le bât blesse, c’est dans la capacité qu’ont les gouvernants et les bureaucrates syndicaux, main dans la main, à diviser les travailleurs et la population pour le meilleur compte du patronat. En mai et juin 2003 déjà on a vu les dirigeants des mêmes syndicats freiner autant que possible l’extension de la grève pour en bout de course accoucher d’une pétition, et enregistrer une défaite sur la réforme des retraites. A l’égal des notables socialistes, ces gens ont trop d’intérêts à défendre dans le système pour être nos amis.

Alors au travers de chaque lutte, de chaque mobilisation, à l’intérieur de chaque structure militante, syndicale ou autre, c’est à chacun de nous de mettre tout en œuvre pour sortir nos revendications de l’isolement et faire progresser l’idée de la convergence des luttes. Au-delà, mettons à l’ordre du jour la construction d’un comité de lutte pour la grève générale, d’une coordination nationale de comités locaux qui travaille à la convergence des luttes. Nous n’avons plus rien à attendre des partis et des syndicats dits représentatifs. Ce n’est que par un travail patient, acharné et systématique dans ce sens, « par en bas », qu’on parviendra à construire un mouvement d’ensemble dans les mois ou années à venir.