EDITO



Travail aliéné

Le patron de France Télécom a parlé d’une « mode ». Le suicide sur le lieu de travail, moyen ultime d’échapper à la pression des managers tout en les accusant, les salariés de Renault l’ont expérimenté aussi, deux ans plus tôt. Quand le capitalisme vacille et sombre dans la crise, l’inhumanité et l’absurde de ses valeurs comme de son fonctionnement n’en apparaissent que de façon plus flagrante.


Pour maintenir des taux de profits extrêmement élevés pendant près de deux décennies, le capital financier a planifié le renforcement de l’exploitation et donc de l’aliénation du travail. A la mainmise sur les corps est venue s’ajouter le contrôle sur les cerveaux, les idées, les préoccupations et les désirs des travailleurs. Le démantèlement des concentrations industrielles a permis celui des structures militantes et de la culture ouvrière qu’elles portaient. Aux valeurs de solidarité, d’égalité, d’émancipation sociale, le capitalisme a substitué celles de la réussite individuelle, de la sécurité et de la consommation, saupoudrées ces derniers temps de « développement durable », «équitable » et « citoyen ».


Mais le capitalisme a aussi touché au plus intime. Par la réorganisation du travail, il a fait du travailleur l’acteur coopératif de sa propre exploitation. L’aliénation du sujet n’est plus seulement qu’il est contraint de produire des choses qui lui échappent, suivant des normes qu’on lui impose. Elle est aussi qu’il participe plus activement à cette contrainte, que cette contrainte est un contrôle accru, et qu’il la renforce en tant que consommateur. Jusqu’au moment où il disparaît, broyé par cette machine qu’il a lui-même contribué à actionner.


Les managers, les DRH et autres consultants, qui pensent et organisent cette aliénation renforcée pour extorquer toujours plus de plus-value, ces gens-là sont des criminels de guerre : ce sont les criminels de la guerre sociale que la classe dirigeante mène contre l’humanité entière, et dont les suicidés du travail sont les victimes les plus visibles. Il faut les traiter comme tels.