Punk & politique

"Un spectre hante aujourd'hui l'Europe : le Punk !"

« Le punk, c'est la révolte moins l'espoir » avais-je dis un jour lorsqu'on m'interrogeait pour définir ce genre musical et que mon interlocuteur s'était rendu compte que le punk avait peu à voir avec l'image qu'il s'en faisait : des jeans troués, des crêtes, de la bière à flot, des marginaux qui parcourent les rues. Image d'Epinal véhiculée par des pseudos-punks adolescents pré-pubères bouffés par la société spectaculaire qui se figurent être punk en écoutant une jeune bourgeoise du nom d'Avril Lavigne ! La triste affaire. Aujourd'hui, à la demande d'un vieil ami, je tente de coucher par écrit une présentation rapide du punk francophone de ses origines à nos jours qui, je l'espère, vous servira de vade-mecum si vous entrez pour la première fois dans ce monde désillusionné : un lecteur averti en vaut deux, on est bien loin des titres décérébrés qui défilent sur les ondes FM...

La question est de savoir : la révolution pourra-t-elle venir du punk, figure par excellence du lumpen prolétariat ? Le punk(man) est-il seulement encore le crétin à crête aviné que l'on imagine ?

Chap.2. Les années keupons (1984-1996)


Gogol et sa Horde défoncent la scène rock française en 1982 avec l'album "Vite avant la saisie" qui deviendra disque d'or. Gogol, autoproclamé dans les années 90 "Papunk" y laisse aller un punk tel qu'il est resté dans l'esprit des gens : alcoolisé, brutal, provocateur. On verra La Horde apparaître au Gibus, haut lieu du Punk, dans le film de Claude Berri : Tchao pantin. Le titre phare "J'encule" est éloquent. Ainsi Gogol "encule" sa cousine et ses parents et il termine en chantant qu'il encule la France et Dieu lui-même. Summum de la provocation qui lui aurait valu le bûcher en d'autre temps. De plus, cet anticlérical intransigeant n'hésite pas à faire ses concerts en soutane ! Humour douteux sur le maréchal Pétain (un peu à l'image de Sid Vicious des sex-pistols qui portait parfois un insigne nazi), Gogol ne respecte rien. Mais à l'aube des années 90 un doute l'assaille et il livrera une étonnante chanson introspective "Le testament". C'est alors l'époque où l'on pense le punk révolu. Gogol pense quitter la scène.

La Souris Déglinguée déglingue autant qu'elle peut depuis 1979, sortant du strict répertoire punk avec succès pour devenir la locomotive toujours vivace du rock alternatif (on signalera en passant le dernier disque solo de Taï-Luc sorti fin 2008). Tout aussi connu pour ses musiques de plus en plus marquées par la soul, le ska et le rock et parfois les délires quasi-messianiques sur l'Asie de leur chanteur, LSD est aussi connue pour son "Raya", ses fans un peu racaille de cité, un peu punk déjanté, de tout bord politique, ce qui fait que les concerts de LSD finissent généralement en pugilat plus ou moins global.

Vers 1984 et jusqu'en 1987, Camera Silens sort dans son sud natal des titres désenchantés avec des thèmes qui hélas parlent beaucoup aux punks, les titres sont évocateurs : "Une vie pour rien", "Caméra silens" (référence au nom de la torture "blanche" - chambre silencieuse - dont faisaient l'objet les prisonniers de la fraction armée rouge en RFA). Il y a aussi la chanson "La réalité", le chef d'œuvre du punk français.

Bientôt les Kamioneurs du suicide sortent également du bois pour une brève apparition suivie des Laids Thenardiers autour des premiers concerts de soutien pour les SCALP avec les Béruriers dont nous parlerons.

En rock alternatif, très proche du punk, nous trouvons Parabellum. Groupe phare pour une certaine scène rock, ce crew continue à parcourir la france. Ses titres à mon sens les plus éloquents sont d'une part "Les îlots d'Amsterdam" et d'autre part "Cayenne". La première chanson, loin d'être un hommage à Brel et au port d'Amsterdam, nous conte l'exacte déchéance de cette ville aux canaux brumeux, les rues jonchées de seringues, les « junkies se shootent », des « histoires de came », des jeunes qui « cherchent à oublier qu'ils détestent Amsterdam ». On est loin de l'aspect romantique du marin brésilien, de ses histoires de beuveries et de prostituées... Amsterdam, « c'est une ville à chier, il faut l'atomiser ». Ambiance d'un roman noir où des personnages moins fréquentables que des héros des polars de Manchette glissent le long des rues comme des spectres. La deuxième chanson est une reprise d'Aristide Bruant, hélas largement oublié aujourd'hui pour ses talents de chansonnier libertaire, un peu misogyne aussi parfois, les "enfants de Cayenne".

Groupe surréaliste avec un chanteur à mi-chemin entre Marylin Manson, The Addicts et Kiss, et le plus mythique de tous sans doute, Oberkampf (comme la station de métro parisienne) arrive à son apogée en 1987. Arrangements sonores soignés, poésie des textes, dandysme, Oberkampf est un groupe ultime qui parle des dérives d'une prostituée... une légère brise marine souffle sur votre platine, quelques basses, un cri, une voix étrange de phono trente nasillarde à la diction outrancière ("Linda") : « Linda tu dis viens on va s'amuser avant le grand voyage... coincée dans la moiteur de ton lit... mais qu'as tu fais de ta vie Linda?... » et le triste : « cette pute qui te sucera jusqu'à trépas... je sais je sais je n'ai pas à te juger... tu es morte maintenant adieu Linda ». Un souffle, des bruits distendus de cloches... Oberkampf attaque aussi le fric ("Tout ce fric") mais à contre-pied : « qui a dit que l'argent ne fait pas le bonheur, moi si j'avais du fric je ne ferai pas le con devant ce micro ! ». Le groupe fera une reprise paranoïaque du "Requiem pour un con" de Gainsbourg. Bref Oberkampf restera le groupe d'avant-garde de l'alternative française... le scandale viendra avec une reprise des couplets les plus violents de la Marseillaise, rendant hommage a l'aspect révolutionnaire du chant, avec des bruits de porc en introduction de la chanson et des riffs distendus à la guitare digne d'un Hendrix malmenant l'hymne yankee et au second couplet chantant « nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n'y seront plus et nous marcherons sur les traces de leurs vertus... poil au cul ! ». « Je hais les coqs (...) nous sommes une génération à exterminer ! »... dira le leader d'Oberkampf. Gageons que certains anciens paras en seront convaincus !

Pendant ce temps, les bouchers de La Villette de Boris Vian ont laissé la place aux Garçons Bouchers, curieux ensemble uni, multipliant parfois les instruments. François Hadji-Lazaro mène cette troupe aux forts accents réalistes qui verseront vers la chanson réaliste rock avec Pigalle. On se moque des premiers pas du rap avec le "Rap des garçons-bouchers". Hélas c'est ici un chant du cygne ! Pigalle apparaît donc vers 1987. C'est en 1990 que Hadji-Lazaro offre une pépite : le concept album "Regards affligés sur la morne et pitoyable existence de Benjamin Tremblay personnage falot mais ô combien attachant" : la case prison, les amours déchues, la solitude, les bars glauques dont le tube "Dans la salle du bar-tabac de la rue de martyrs".

Par ailleurs, une armée faite de troubadours, cracheurs de feu, jongleurs, se manifeste : il s'agira des Béruriers Noirs (abréviation BxN) réinventant le spectacle au profit de concerts punk parfois gigantesques ! Issu des squats parisiens vers 1983, BxN n'a cessé de croître pour devenir le groupe leader de la scène alternative avec un ensemble aux saxos stridents, à la boîte à rythme aux cadences apocalyptiques. Au milieu des années 90 ce grand n'importe quoi tournera à vide avant une résurrection en 2003. Parfois mauvais en terme de son, les BxN sont impayables en concerts pour mettre une ambiance du tonnerre, sur laquelle règne un SO virant à coup de battes les boneheads (skins fachos) qui veulent s'inviter. L'histoire de BxN est connue, inutile d'y revenir. Quelques chansons, véritables hymnes de la jeunesse de l'époque, à signaler : "Porcherie", "Renard", "Salut à toi", les reprises "If the kids are united" et "Panik"...

Le dragon Molodoï naît des cendres de BxN. Un bon vieux son punk comme on l'aime parcourra votre platine avec des titres comme "Vent d'Est", "Génération destruction", "Graine de violence", "Dragon libre". Groupe transitionnel post-bérus, Molodoï a le mérite de renouveler le genre en profondeur permettant aux oreilles françaises de s'habituer à la déferlante oi! à venir. A mon sens avec Camera Silens le meilleur groupe punk des années 80.

Moins connus, les Sheriffs vont faire leurs lois a travers toute la France « à coups de batte de base-ball » justement pour reprendre leur meilleur titre !...

Puis c'est le reflux, le punk semble s'estomper. Des groupes punk se tournent vers la chanson alternative et réaliste française notamment autour de Francois Hadji-Lazaro. On verra poindre ainsi les VRP, les Nonnes-Troppos. Puis le rap engagé (Assassin) à l'aube de 1990 ou le rap rendant hommage au punk (Svinkels) au début des années 2000. Le punk semble alors voué aux gémonies de l'histoire du rock, mais c'est ignorer le mythe du sphinx...

Léo Levallois


 

...à venir : Chap.3. La résurgence du punk au travers de la scène Oi! (notamment)