Plainte déposée le vendredi 24 mars 2005 contre KIM WOO CHOONG

Tribunal de Grande Instance de BRIEY
Monsieur le Procureur de la République
Place de l'Eglise
BP 139
54150 BRIEY

Nancy, le 24 mars 2005
Affaire :
Nos Réf. : 3000 - AB/PF/

Monsieur le Procureur,

J'ai l'honneur de vous écrire en qualité de Conseil de :
- Mr Amar BOUCHAMA, Représentant des Salariés DAEWOO, demeurant 1 B rue de Bordeaux, 54350 MONT SAINT MARTIN - Mr François GONZALEZ, Délégué Syndical CGT DAEWOO, demeurant 132 rue de Metz, BP 90173, 54403 LONGWY CEDEX - Mme Isabelle BANNY, Représentante de l'Union Local CGT, 132 rue de Metz, BP 90173, 54403 LONGWY CEDEX

Ceux-ci me chargent de vous saisir d'une plainte pour complicité de banqueroute à l'encontre de Mr KIM WOO CHOONG, fondateur du Groupe DAEWOO et dont d'adresse est actuellement ignorée des plaignants mais facile à retrouver auprès de son employeur, l'entreprise LOHR à DUPPIGHEIM (Bas Rhin).

Les plaignants considèrent que Mr KIM WOO CHOONG a mis en place au niveau de son groupe mondial un système financier frauduleux dans lequel était impliqué la personne morale de DAEWOO ORION sa filiale de MONT SAINT MARTIN.

Ils estiment que l'entreprise DAEWOO ORION a été un des éléments du système mis en place pour tenter de procurer au groupe DAEWOO ainsi qu'à sa filiale, des moyens de crédit permettant d'assurer la survie artificielle de l'entreprise.

Cette méthode illicite est à l'origine de la faillite de DAEWOO ORION MONT SAINT MARTIN.

Mr KIM WOO CHOONG, qui est l'investigateur de ce montage, est complice de l'infraction principale de banqueroute au sens de l'article L121-7 du Code Pénal.

I - LES FAITS :

Mr KIM WOO CHOONG est le fondateur du groupe DAEWOO.

Peu avant la crise asiatique, ce groupe mondial représentait 5 % du PIB de son pays et 13 des exportations et employait 270 000 salariés dans une centaine de pays réalisant un chiffre d'affaire de 440 milliards de francs soit 70 milliards de dollars.

Son projet était d'atteindre un chiffre d'affaire de 177 milliards de dollars en l'an 2000.

Au début des années 1990, le Groupe DAEWOO, dont la rentabilité a diminué du fait de l'augmentation des salaires en Corée, s'est lancé dans une véritable fuite en avant afin de développer sur des nouveaux marchés, dans le but d'augmenter son chiffre d'affaire pour rassurer ses créanciers, s'assurer des concours bancaires, développant ainsi une croissance artificielle financée par des dettes.

L'un des moyens le plus couramment employé par Mr KIM WOO CHOONG pour majorer artificiellement le chiffre d'affaire résidait dans la pratique des ventes entre filiales, les sociétés du groupe ayant pour fournisseurs et pour clients d'autres filiales du même groupe.

En outre, ce chiffre d'affaire artificiel était réalisé sans considération du prix de revient.

Cette fuite en avant vers un développement externe illusoire était favorisée par des promesses d'emploi dans des bassins industriels en voie de reconversion et soutenue par des subventions accordées quelque fois sans discernement par les pouvoirs publics.

L'entreprise DAEWOO ORION, située à MONT SAINT MARTIN, est une énigme économique car il s'agit d'une société qui n'a jamais généré de profit et qui ne pouvait pas en générer dès lors que la valeur ajoutée dégagée ne permettait même pas de faire face au paiement de la masse salariale.

La question s'impose donc de savoir pour quelles raisons cette société a été créée, bénéficiant de l'appui des pouvoirs publics et recueillant 220 millions de francs de subvention.

La seule réponse à cette question est que la Société DAEWOO ORION, qui n'a pas de justification par elle-même trouve sa raison d'être dans son intégration au système DAEWOO consistant à créer des entreprises générant des chiffres d'affaire artificiels employant ainsi des moyens ruineux pour se procurer des fonds destinés à retarder l'effondrement du système.

La Société DAEWOO ORION était la modélisation locale du système global mis en place à l'échelon international et une brique de l'édifice construit par Mr KIM WOO CHOONG.

Les éléments constitutifs de l'infraction de banqueroute en ce qui concerne la personne morale DAEWOO ORION sont une transposition du système KIM WOO CHOONG par la course au chiffre d'affaire et l'emploi de moyens constitutifs de l'infraction de banqueroute qui sont les suivants :

a/ Absence de rentabilité de l'entreprise

La Société DAEWOO ORION, qui a débuté sa production en 1995, n'a jamais été en mesure de dégager un bénéfice enregistrant au contraire des pertes abyssales.

- L'augmentation progressive du chiffre d'affaire s'est traduite par une dégradation de résultat d'exploitation

Le chiffre d'affaire de DAEWOO ORION est passé de 1996 à 1998 de 105 752 KF à 360 357 KF pour redescendre à 349 605 KF en 1999.

Pourtant, cette augmentation du chiffre d'affaire ne s'est pas traduite par une amélioration du résultat d'exploitation, bien au contraire.

A titre d'exemple, alors que le chiffre d'affaire progressait de 105 757 à 283 174 KF de 1996 à 1997, le déficit d'exploitation passait lui de 102 258 KF à 256 767 KF pour la même période.

L'examen des comptes de l'année de 1997 illustre parfaitement cette course au chiffre d'affaire artificiel par le recours à des moyens ruineux ; le chiffre d'affaire augmente de 177 422 KF alors que l'on constate parallèlement une aggravation du déficit pour la même année à hauteur de 202 245 KF !


b/ Pratique des ventes à perte

Le prix de vente des produits issus de la production de DAEWOO ORION était inférieur à leur prix de revient.

Dans son rapport économique et social transmis au Tribunal de Commerce au mois de janvier 2003, Maître KREBS, Administrateur Judiciaire, relevait : " Les tubes 14 vendus en moyenne 26,92 euros ont un prix de revient de 41 euros soit une perte réalisée sur chaque tube vendu de 14,08 ?.

Les tubes 20 pouces vendus en moyenne 45,38 ? ont un prix de revient de 54,30 ? soit une perte réalisée pour chaque tube vendu de 8,92 ? ".


c/ Recours à des moyens ruineux pour se procurer du crédit

La simple consultation des éléments comptables permet de l'établir puisque l'augmentation du chiffre d'affaire a été accompagné d'une dégradation en valeurs absolues du résultat.

Le Chef Comptable de DAEWOO ORION entendu dans le cadre d'une précédente procédure, déclarait : " Aucun exercice n'a été bénéficiaire durant toute la vie de la société même en terme d'exploitation ".

Il déclare également : " Il est à noter que chacun des résultats nets de la société tenait compte d'une dotation des amortissements de 65 millions de francs et de charges financières de l'ordre de 70 millions de francs ".

L'Expert comptable désigné dans le cadre de la procédure d'alerte initiée par le Comité d'Entreprise écrivait après examen du bilan des comptes 1999 : " La trésorerie se solde par un besoin de financement considérable de 257 millions de francs scrupuleusement équivalent sur les années précédentes et représentant 264 jours de chiffre d'affaire......l'évolution sensible des dettes auprès du groupe et des dettes sociales et fiscales sont à mon sens révélatrices d'une situation inquiétante. Elle semble en effet traduire que faute de plus amples possibilités de financement auprès des banques, les besoins d'exploitation de votre activité sont couverts par les créanciers.

Votre Société se caractérise par une structure financière déséquilibrée générant des besoins de financement colossaux ".


d/ Réalisation d'un chiffre d'affaire artificiel par le biais de flux commerciaux entre sociétés du groupe

A l'instar du système mis en place par Mr KIM WOO CHOONG, les fournisseurs de DAEWOO ORION étaient des sociétés du groupe et ses principaux clients d'autres sociétés du même groupe.

Il résulte des analyses tant de l'Expert comptable en 1999 que de l'Administrateur Judiciaire, Maître KREEBS et des dépositions du chef comptable que les principaux fournisseurs du groupe étaient les deux actionnaires et les clients du groupe, les Sociétés DENSA et DEMPOL, filiales polonaises de DAEWOO.


II - LES INFRACTIONS

a/ - Des éléments objectifs tirés des documents comptables, du rapport de l'Expert Comptable nommé par le Comité d'Entreprise, et des observations de Maître KREBS, Mandataire Judiciaire, permettent de caractériser l'infraction de banqueroute telle qu'elle est prévue par les dispositions de l'article L626-2 du Code de Commerce qui déclare coupables de banqueroute les personnes contre lesquelles ont été relevés les faits " d'avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit fait des achats en vue d'une revente en dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ".

Une jurisprudence abondante a permis de caractériser le délit et d'en préciser les contours.

Il a été jugé que le délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds était caractérisé :

- par un taux d'endettement excessif générant des frais trop importants pour l'entreprise (rapport de l'expert Comptable, rapport de Maître KREBS) - des prix de vente anormaux ayant pour effet de léser la société (perte de 14,08 ? pour la vente de chaque tube cathodique 14 et de 8,92 ? pour la vente de chaque tube cathodique 20)

Le délit de banqueroute est constitué que les faits constatés soient antérieurs ou postérieurs à la date de cessation des paiements dès lors qu'ils ont eu pour objet et pour effet d'éviter ou de retarder la constatation de cet état ou d'affecter la consistance de l'actif disponible dans des conditions de nature à placer l'intéressé dans l'impossibilité de faire face au passif exigible.

Tel est le cas en l'espèce puisque les faits constatés sont antérieurs à la date de dépôt de bilan, le système ayant été mis en place dès le début de l'exploitation de DAEWOO ORION.

Cependant, ce système a continué à produire ses effets après l'effondrement du groupe en 1999 et a conduit inévitablement DAEWOO ORION à la faillite.

Tous les éléments du délit principal sont caractérisés.


b/ Les plaignants considèrent que la faillite de la filiale DAEWOO ORION n'est que la conséquence de la faillite du groupe à l'échelon mondiale en raison de l'interpénétration des flux commerciaux et financiers existant entre chacune la filiale DAEWOO ORION et les autres sociétés du groupe.

Ils estiment que Mr KIM WOO CHOONG est complice de l'infraction principale de banqueroute.

Les dispositions de l'article L626-3, 2ème alinéa du Code de Commerce prévoit expressément le cas de la complicité de banqueroute qui peut être étendue à toutes personnes susceptibles d'entrer dans les prévisions du texte sans qu'il soit nécessaire qu'ils aient la qualité de commerçant ou de dirigeant de la personne morale.

L'article 121-7 du Code Pénal définit la complicité de la manière suivante : " Est complice d'un crime ou d'un délit, la personne qui sciemment par aide ou assistance en a faciliter la préparation ou la consommation. Est également complice, la personne qui par don ou promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué une infraction ou donné des instructions pour la commettre ".

Les faits susceptibles d'être reprochés à Mr KIM WOO CHOONG rentrent dans les prévisions du texte.

- il a facilité la préparation et la consommation de l'infraction de manière générale par sa politique au niveau mondial de cavalerie financière permettant de faire circuler des flux financiers d'une société à une autre société pour retarder l'échéance inévitable du dépôt de bilan
- il a systématisé la pratique d'augmentation du chiffre d'affaire conduisant inévitablement à l'effondrement de l'entreprise consistant à écouler sur le marché des produits à un prix de vente inférieur au prix de revient et conduisant inévitablement à l'effondrement de l'entreprise

La seule logique de ce comportement était de créer un chiffre d'affaire pour la filiale DAEWOO mais en même temps indirectement de créer un chiffre d'affaire pour les autres filiales fournisseurs de DAEWOO ORION.

Il a également provoqué l'infraction ou donné des instructions pour la commettre au sens du 2ème alinéa de l'article 121-7.

En effet, la déconfiture de DAEWOO ORION a été artificiellement retardée par le passage dans ses comptes de capitaux circulant au travers de toutes les sociétés du groupe permettant un colmatage temporaire des pertes abyssales de DAEWOO ORION.

Le système mis en place et qui consistait à écouler une production à un prix inférieur au prix de revient ne pouvait se pérenniser que par les concours bancaires et l'aide financière des autres sociétés qui avaient elles-mêmes sans doute appliqué les mêmes procédés créant ainsi une forme de machine financière infernale.

Dans un premier temps, le financement du déficit a été assuré par les subventions puis par les concours bancaires et par le biais d'augmentations de capital ou d'apports en compte courant permettant d'alimenter la dynamique de la spirale de la banqueroute.

En 1997, 1998 et 1999, les apports en capital ont été effectués par les deux actionnaires ORION Electric's CO et DAEWOO Electronic's CO qui projetaient en mai 1999 de perpétuer le mécanisme en prévoyant une nouvelle augmentation de 30 millions de dollars qui n'a semble-t-il pas pu se réaliser du fait de l'effondrement du groupe.

Il convient de noter qu'en mai 1999, DAEWOO HONG KONG, qui n'avait aucun rapport juridique ou commercial avec DAEWOO ORION et qui ne faisait pas partie de son actionnariat, a versé une somme de 5 millions de dollars !

Ces concours financiers ont eu pour seul effet de retarder la procédure de dépôt de bilan tout en aggravant de manière inéluctable le passif de la société.

Il apparaît donc que Mr KIM WOO CHOONG est susceptible d'être poursuivi comme complice de l'infraction principale de banqueroute dont il conviendra de déterminer les auteurs principaux.

Les plaignants sont très attachés à ce qu'une enquête complète soit effectuée pour mettre fin à l'impunité dont bénéficie actuellement Mr KIM WOO CHOONG.

Il est inutile de rappeler les répercussions économiques, sociales et financières de la banqueroute de DAEWOO ORION.

Dans ces conditions, la totale impunité dont jouit Mr KIM WOO CHOONG, si elle est répréhensible sur le plan pénal, l'est également sur le plan moral et sur le plan social.

Il serait inconcevable que la justice française, qui a jusqu'à ce jour condamné avec rigueur Mr Kamel BELKADI qui proteste de son innocence dans l'affaire de l'incendie de l'usine de MONT SAINT MARTIN, adopte un traitement différent à l'égard de Mr KIM WOO CHOONG.

Nous espérons que le nouvel éclairage que nous soumettons à votre appréciation vous conduira à relancer l'enquête dont nous vous avions saisi précédemment et que vous aviez clôturée en considérant que l'infraction n'était pas suffisamment caractérisée.

Je vous prie de croire, Monsieur le Procureur, en l'expression de mes sentiments très respectueux.

Alain BEHR