Peines revues à la baisse contre le salarié accusé d'avoir incendié le site lorrain

L'étrange sinistre de l'usine Daewoo fait douter la justice

Par Thomas CALINON
mercredi 06 avril 2005 (Liberation - 06:00)
Nancy envoyé spécial
source : http://www.liberation.fr/page.php?Article=287603


Ils se rassemblent au moment où la pluie cesse, hier, peu après 11 heures, devant la cour d'appel de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Une heure plus tard, ils sont 200 à manifester leur soutien à Kamel Belkadi. Quatre fois plus nombreux qu'en première instance, en septembre 2004, quand le tribunal correctionnel de Briey a jugé et condamné cet ancien salarié de l'entreprise Daewoo-Orion de Mont-Saint-Martin à trois ans de prison dont la moitié ferme et 30 000 euros de dommages et intérêts pour l'incendie qui a ravagé cette usine de tubes cathodiques, le 23 janvier 2003. Le sinistre a détruit le stock de produits finis et mis fin à deux mois d'un conflit social particulièrement dur dans cette filiale du conglomérat sud-coréen Daewoo, implantée depuis 1995 dans l'ancien bassin sidérurgique de Longwy. Endettée auprès de l'Urssaf et des banques, Daewoo-Orion avait été placée en redressement judiciaire. L'incendie a précipité la liquidation. Passif financier : 110 millions de traites. «Passif social : le licenciement de 550 salariés, dont 500 sont toujours au chômage», rappelle Me Gérard Michel, l'un des deux avocats de Kamel Belkadi.

Sur les torses des manifestants, des autocollants «Kamel innocent, Daewoo coupable !». Leurs banderoles demandent «la réouverture de l'instruction». Sur des fils tendus entre les arbres, les manifestants ont accroché des avis de recherche à l'effigie de l'ancien PDG de Daewoo, Kim Woo-choong, en fuite depuis 2000 après avoir conduit le chaebol qu'il avait fondé dans les années 60 à une retentissante faillite. Naturalisé en 1987, fait commandeur de la Légion d'honneur en 1996, Kim Woo-choong travaille depuis dix-huit mois pour l'entreprise alsacienne Lohr (Libération du 7 mars).

Kamel Belkadi le répète : «Je ne vois pas pourquoi j'aurais mis le feu à cette usine !» Des témoins l'ont entendu dire qu'il fallait «foutre le feu», mais aucune preuve matérielle n'accuse cet ouvrier non syndiqué de 34 ans qui fut l'un des leaders du mouvement des Daewoo. Le stock de tubes cathodiques incendié, estimé à 1,2 million d'euros, constituait le trésor de guerre des salariés en lutte. Aucun d'eux n'avait a priori intérêt à le voir partir en fumée.

«Pour la direction, c'est plus complexe», estime Me Michel. La liquidation judiciaire consécutive à l'incendie a permis à Daewoo de mettre fin au conflit sans avoir à retourner ses poches. «Le plan social a minima légal, c'était 3 millions d'euros. Le plan préventif qu'on avait négocié, c'était 10 millions d'euros», se souvient Isabelle Banny de la CGT. Elle énumère des «coïncidences» qui lui laissent à penser que l'incendie était prémédité : «Le nombre de gardiens avait été réduit à deux au lieu de quatre ; les extincteurs étaient vidés et il n'y avait pas de pression dans les lances à incendie; la comptabilité avait été déménagée le jour même.» Autant de faits avérés que Me Alain Behr, autre défenseur de Belkadi, se charge de rappeler à la cour avant de pointer la fragilité du témoignage du principal accusateur de Belkadi, qui affirme que ce dernier lui a confié être l'auteur du sinistre.

Convaincu de la culpabilité du prévenu, l'avocat général estime toutefois que, «bien que ce soit le procès de Belkadi, il y a aussi une affaire qui est l'affaire Daewoo». Il évoque «un contexte que l'on n'a pas le droit d'écarter et qui vient indiscutablement à décharge», et requiert une peine de trois ans dont six mois ferme, très en deçà du jugement de première instance. La cour rendra son arrêt le 24 mai.