Un aspect de la reconversion des zones industrielles :
Le bassin de Longwy à travers l’implantation des usines du groupe Daewoo
Ou encore, comment aider le patronat à devenir délinquant

par Catherine Levy (Laboratoire G. Friedman, CNRS. Paris. France) et Jean Claude Feite (CAG-Lor- Longwy)


La source....

Introduction

Nombre de régions ont subi dans les trente dernières années des transformations économiques d'importance, surtout celles qui étaient industrialisées de longue date. Mines de charbon, mines de fer, sidérurgie ont cessé leur production pour laisser petit à petit la place à d'autres industries. Cette transformation ne s'est pas faite sans heurt.

La fermeture des sites industriels anciens :

L'industrialisation de sites comme Longwy en Meurthe et Moselle remonte à la fin du 19ème siècle ; après l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine par l’Allemagne, en 1870, il fallait suppléer aux pertes de la production d'acier qui se faisait dans l'est de la France.
Dans la Lorraine sidérurgique, les logements, les lycées professionnels, les centres d'apprentissage, les hôpitaux, etc. appartiennent au patronat (les maîtres de forges) ; dans les années cinquante et ensuite on rentre à l'usine comme son père ou son frère, les usines sont dans la ville, on les voit de la maison.
La vie, la ville sont balisées par l'usine, le travail et les syndicats. Le mouvement ouvrier y est fort et structuré. La fédération de la métallurgie est puissante et masculine. A Longwy, l'union locale appartient aux sidérurgistes. La CGT y est largement majoritaire. Puis tout bascule.

La crise de la sidérurgie française dure de 1974 à 1983 ; succédant aux fermetures des mines de fer lorraines du début des années soixante, les effectifs nationaux de salariés passent de 157 000 à 92 000 ; à Longwy, depuis 1974 il n'y a plus d'investissements et, bien sûr, plus d'embauche : le nombre de sidérurgistes passe de 24 000 en 1955 à 310 aujourd’hui. Sur le territoire transfrontalier dont la zone de Longwy fait partie, on peut aussi constater la fermeture complète de la sidérurgie belge (près de 3 000 emplois) et la fonte des effectifs luxembourgeois (de 23 500 à 3 000) : en quarante ans, la zone frontalière a perdu 47 000 des 50 000 emplois existants.

La reconversion :

A Longwy entre 1975 et 2003 toute la sidérurgie a fermé à l’exception d’un laminoir passé sous contrôle luxembourgeois et en instance de fermeture pour 2005 avec 310 emplois. La zone d'emploi perd 8 700 actifs ayant un emploi sur un total de 39 000 alors que le nombre de travailleurs frontaliers (en direction de la Belgique et du Luxembourg) passe de 6 000 à plus de 15 000. De 1975 à 1999, la population totale de la zone diminue de près de 23 000 habitants.

Alors même que les luttes du mouvement ouvrier s'estompent, et que celles contre les fermetures ont été, la plupart du temps, ressenties comme des échecs, les organisations syndicales diminuent, s'affaiblissent.

Pendant cette phase transitoire qui peut être longue, on voit surgir des centres de formation articulés sur des projets d'implantation de nouvelles entreprises. En même temps que la création d'IUT ou de lycées technologiques, les anciennes formations au CAP de fraiseurs-tourneurs etc. demeurent, laissant planer un doute sur la fermeture définitive des dernières installations encore en fonctionnement. Stages et formations en tout genre sont proposés aux anciens salariés, aux jeunes sortant du système scolaire sans que ceux-ci aient la moindre possibilité de connaître les données précises concernant les emplois à occuper.

Les stages de formation, mis en place par des organismes privés, se multiplient, payés par des crédits venant de l’Etat, de la région, des groupes industriels qui ont fermé leurs portes. La reconversion professionnelle se double d’une reconversion industrielle et économique ; d’autres structures s’installent, gérant les fonds publics et privés destinés à “combler les vides”, c’est-à-dire à faire venir des entreprises de substitution. Une multitude de services se posent ainsi, éparpillés sur les sites.

Des projets d'importance avortent, semant le doute sur l'avenir du bassin : ainsi, une grosse entreprise d'électronique (Thomson), appartenant à un groupe nationalisé, s'installe dans les locaux d'une usine-relais construite par une structure intercommunale, entreprend des formations coûteuses pour le personnel embauché et ferme après six mois pour se délocaliser. Elle est remplacée dans ces locaux par JVC, filiale du groupe Matsushita, qui délocalise aussi dix ans plus tard. Ce jeu de chaises musicales se pérennise autour des biens d’équipements assemblés dans ces usines-tournevis.

Pour mettre en place une politique d’installation de nouvelles implantations le Pôle européen de Développement (PED) est créé en 1985 sur le territoire transfrontalier belgo-franco-luxembourgeois dont Longwy constitue la « capitale » française.
Les deux idées qui président au niveau institutionnel sont la diversification des productions et le choix d'entreprises à effectifs moyens pour des entreprises à forte capacité capitalistique.

Il s'agit d'attirer des entreprises multinationales en leur faisant valoir des facilités matérielles et financières, une main d'oeuvre bon marché et relativement qualifiée, en parvenant à trier parmi les candidats ceux qui seront en mesure d'assurer le fonctionnement de l'activité productive sur plusieurs années. Autrement dit, il faut éliminer les "rapaces", les "chasseurs de primes".

L’objectif principal est de créer en une décennie sur les friches industrielles sidérurgiques assainies 8 000 emplois industriels (5 500 en France, 1 500 en Belgique, 1 000 au Luxembourg).
Pour cela, les aides à l’investissement sont accordées à hauteur de 37% de ceux-ci et en fonction du nombre d’emplois projetés.

Portrait des nouvelles installations industrielles :

Les entreprises qui s'installent ont un certain nombre de caractéristiques communes : elles bénéficient d'emplois primés, c'est-à-dire de financements liés au nombre d’emplois qu’elles proposent de créer, aux montants des investissements qu’elles projettent ; de plus lorsqu'elles embauchent des enfants de sidérurgistes ou des chômeurs de longue durée, elles touchent des primes supplémentaires. Elles ont en principe un certain nombre de devoirs et dans les accords présidant à leur installation, il est souvent fait mention de l'obligation de se fournir sur place ou dans la région d'un certain nombre de produits finis ou semi-finis nécessaires aux productions. Mais cette clause n'est pas toujours respectée par les industriels sans qu'aucune mesure soit prise à l'encontre des directions non respectueuses des contrats signés.

Les directeurs d'entreprises sont souvent étrangers, japonais, allemand, anglais, italien, coréen, etc. et certains "fonctionnent avec des schémas archaïques". L'un d'entre eux est allé faire une démarche auprès de l'organisme local de la sécurité sociale pour demander que "l'on ne soit pas payé lors des congés maladies", pensant que cela diminuerait un fort taux d'absentéisme. Les unités installées appartiennent souvent à des groupes internationaux dont les directions sont géographiquement éloignées. Ce sont pour l’essentiel des usines de montage avec un fort pourcentage de main d'oeuvre féminine que l'on retrouve sur les chaînes ; techniciens, contremaîtres et directions se conjuguent au masculin. Cette main d’œuvre féminine a souvent un niveau scolaire relativement élevé par rapport aux postes de travail qui lui sont dévolus (BEP, ou Bac) ; cela a des avantages, car cela permet parfois de se passer de l'intermédiaire que représente l'interprète quand la direction parle anglais et de négocier directement avec elle

La difficile formation de nouvelles sections syndicales :

La plupart de ces entreprises ne rencontrent au départ aucune section syndicale, car bien souvent leurs directions font savoir leur opposition à l'installation d'un syndicat. Et dans la situation de vide qui s'est installée après les fermetures des sites industriels, il faut quelques années pour redonner à l'action syndicale un certain dynamisme.

Il n'en demeure pas moins que l'affiliation à une centrale syndicale est ressentie comme une nécessité pour remplir sa fonction de délégué. Les revendications principales portent sur les conditions de travail que les salariés, bien souvent, qualifient de comparables à celles du XIXème siècle, sur les augmentations de salaires et le versement des primes (de fin d'année, de présence) et sur le temps de travail. Mais les questions abordées entre militants sont souvent d'un autre ordre et les préoccupations touchant le marché mondial et la concurrence internationale sont fréquentes. Dans les entreprises d'origine étrangère, les salariés sont soumis à des pressions de la direction, articulées sur des comparaisons avec les pays d'origine de la firme, en terme de coût et de productivité. Quand des unités du même groupe sont implantées dans une autre région ou un autre pays européen, les syndiqués travaillent à des prises de contacts avec les salariés du même groupe.

Les revendications internes à l'entreprise sont souvent traitées avec le directeur du personnel ; parfois elles sont appuyées par des débrayages, mais ceux-ci sont rares et peu suivis ; les grèves ont été longtemps inexistantes. La syndicalisation est faible dans ces nouvelles implantations.

1ère partie : l’installation de Daewoo (1988)

L’installation de Daewoo dans le bassin de Longwy à la fin des années 80 intervient dans le cadre du processus de diversification industrielle initié dans cette région transfrontalière dès le début des années 60 afin de remplacer l’appareil de production sidérurgique.
C’est l’Etat luxembourgeois qui expérimente le premier les formules d’incitations à l’implantation d’entreprises américaines (notamment par le biais d’une fiscalité très avantageuse) qu’il pérennise dans un appareil législatif de diversification économique. De fait, la plupart des grands groupes américains s’installent dans les zones d’activités luxembourgeoises (General Motors, Du Pont de Nemours, Good Year…) proches d’une capitale « américanophile » du Marché Commun, qui se transforme très vite en place financière majeure du « Vieux Continent ». Cette politique volontariste va être suivie et développée par la structure intercommunale de développement économique de la Province de Luxembourg belge limitrophe qui va démarcher les entreprises industrielles américaines pour compenser la fermeture du site sidérurgique d’Athus à la fin des années 70 (Champion, Mobil, Levi’s…). Ces politiques nationales se font aussi sous couvert d’un accueil très bienveillant d’une population active encline à un climat de paix sociale et d’un consensus politique de l’ensemble des formations politiques et syndicales, consensus vanté par les organismes de prospection économique.

Le contexte général de ces implantations se situe aussi par ailleurs dans le cadre d’une construction européenne qui vise à mettre en place des barrières tarifaires pour les productions qui ne sont pas réalisées dans son territoire, et dont l’une des dates-butoir est le 1er janvier 1993 avec la mise en place du Traité de Maastricht.

Dès lors, les recherches d’investisseurs pouvant s’implanter sur le Pôle Européen de Développement (notamment pour les Français) s’orientent, faute de multinationales américaines déjà installées dans les secteurs belges et luxembourgeois, vers le marché asiatique. Cette politique est d’ailleurs fortement encouragée par le Premier ministre de cohabitation de François Mitterrand, admirateur de divers aspects culturels extrême-orientaux, devenu aujourd’hui président de la République française, Jacques Chirac. En effet, celui-ci accompagné de ministres qui tiennent les exécutifs régionaux lorrains, prospecte au Japon et en Corée du Sud. Le résultat se concrétise sous la forme de la promesse de venue d’entreprises comme JVC, Panasonic et Daewoo.

Leurs implantations doivent être réalisées rapidement dans ce qu’on nomme les zones d’activités transitoires du Pôle Européen de Développement, bénéficiaires d’aides européennes et de diverses dérogations. Ces implantations très aidées leur permettent dès lors de ne pas voir leurs productions taxées au prix fort pour entrer dans le Marché unique et de pouvoir acquérir des parts de marché des productions bas de gamme des biens d’équipement (électroménager, haute fidélité…). Tout cela en investissant en même temps dans de nouvelles unités de production en Pologne et Hongrie (pays qui vont intégrer l’Union Européenne en 2004).

Les productions industrielles de ces multinationales asiatiques relèvent uniquement de l’assemblage de pièces dont l’origine provient des circuits internes à chacun des groupes implantés. Ce processus requiert donc essentiellement un personnel travaillant à la chaîne, souvent féminin et rémunéré sur les bases minima légales, souvent sous forme de contrats à durée déterminée, intérimaire voire stagiaire de la formation professionnelle rétribuée par l’Etat.

Par ailleurs, l’implantation des « chaebols » coréens en Europe se déroule dans un contexte revendicatif très fort en Corée (qui vont accueillir les jeux olympiques à Séoul), où apparaissent des syndicats désireux de secouer le cocotier des conditions de travail (la moyenne hebdomadaire de travail en Corée est de 57 heures, en augmentation d’une dizaine d’heures depuis 1980, entre autres dans l’électronique et l’automobile).

Enfin, les « chaebols » désireux d’investir en Europe sont à ce moment-là endettés à 70-80% auprès des banques coréennes nationalisées : le krach boursier des années 90 les flanquera par terre.

Toutefois, il convient d’ajouter à ce tableau la volonté du fondateur de Daewoo, Kim-Woo-Chung, de se faire reconnaître par les plus hautes sphères de l’Etat comme l’homme providentiel de la ré-industrialisation lorraine.

Tout cela est connu des prospecteurs économiques qui présentent Daewoo comme la nouvelle figure de proue de l’industrie lorraine en 1987… à partir de l’annonce de la création d’une usine d’assemblage de fours à micro-ondes devant embaucher 150 personnes sur 3 ans !!!

2ème partie : les avantages matériels

L’implantation de Daewoo est l’occasion d’une mobilisation totale de l’appareil légal des aides financières disponibles au niveau européen (Feder), national (Prime d’aménagement du territoire) régional (Prime régionale à la création d’emploi, aide régionale à l’immobilier d’entreprise) ainsi qu’à un détournement des objectifs de fonds constitués pour aider au reclassement de sidérurgistes (en donnant des aides pour l’embauche d’enfants de sidérurgistes).

Le test de l’implantation de l’usine de fours micro-ondes à Villers-la-Montagne (à côté de Longwy) se révèle positif pour le « chaebol » car il va s’empresser d’annoncer la création d’une nouvelle entreprise d’assemblage de télévisions à Fameck en Moselle (autre site sidérurgique en restructuration), d’une usine d’assemblage de tubes cathodiques de télévision à Mont-Saint-Martin (à côté de Longwy) , d’un centre de recherche et d’ingénierie à Metz (préfecture de la région lorraine), la mise en place d’une usine de réfrigérateurs à Verdun (en Meuse) ainsi que l’extension des usines de Villers-la-Montagne et Mont-Saint-Martin.

Toutes ces annonces cumulées prévoient la création à l’horizon 2000 de plus de 2 000 emplois dans un espace régional d’une soixantaine de km de côté, qui a la particularité de concerner directement le président du conseil régional lorrain, élu meusien et ministre de l’industrie de l’époque.

A partir de ce moment-là, il va devenir très difficile de connaître le montant exact des aides octroyées à Daewoo pour mettre en place cette politique d’expansion ; de l’aveu même d’un prospecteur d’Apeilor (organisme chargé de l’expansion économique pour la Lorraine et dépendant du conseil régional de Lorraine), « C’est un secret d’état. Si les montants étaient connus, ainsi que leurs conditions d’obtention, des têtes tomberaient !!! ».

Car dans ces négociations, tout se joue autour de ce qui peut être fait en plus de la loi comme « aides personnalisées ».

Les autres avantages matériels que Daewoo négocie ont trait à l’environnement de l’entreprise, à la mise sur place de réserve foncière, à l’aménagement de sites par démontage de voies ferrées ainsi qu’aux aménagement des infrastructures (ceci n’est pas particulier à Daewoo)… : il est dès lors très difficile d’en faire un recensement exhaustif sans jouer à Sherlock Holmes.

En dehors des avantages matériels de l’entreprise, cette période permet à Kim-Woo-Chung de se faire reconnaître par l’Etat comme un citoyen français (ainsi que sa famille et alors que sa connaissance de la langue est inexistante), de recevoir la Légion d’honneur pour services exceptionnels rendus à la Lorraine, tout cela en présence de Jacques Chirac, Alain Juppé et Gérard Longuet.

3ème partie : les conditions de travail - les licenciements – les conflits – l’occupation - la grève – etc.

L’implantation des usines à Villers-la-Montagne et Mont-Saint-Martin se fait avec un encadrement coréen en provenance de Daewoo, et la volonté de faire des unités de production coréennes en Corée sur le territoire français. Les réactions à ce comportement s’articulent en 2 temps : d’abord les services de l’Inspection du travail, puis après quelques années par les sections syndicales difficilement implantées dans ces usines au personnel qui connaît souvent là son premier vrai contrat de travail.

En effet, l’inspection du travail constate un usage très important de personnel intérimaire alors même que l’entreprise doit embaucher à durée indéterminée pour pouvoir toucher l’ensemble des aides décidées lors de son implantation. Daewoo est d’ailleurs contraint de transformer ce type de contrat en contrat à durée indéterminée.

Avant le démarrage des activités de l’usine pour tubes cathodiques, la visite préalable indique qu’il y a 3 000 points de sécurité à améliorer : le chantage à l’emploi est si fort que l’on s’en tient à de vagues promesses d’y remédier. Un technicien coréen en fera les frais en se faisant décapiter, d’autres salariés connaissent d’autres accidents moins irrémédiables.

La mise en place d’un encadrement coréen ne parlant que coréen avec les pratiques coréennes accentue les conflits qui ont trait soit aux pratiques internes soit à l’application des lois françaises (par exemple les 35 heures) et permettent la mise en place de sections syndicales pouvant négocier et mener des luttes sur des conditions de travail minimales à faire respecter.
Ces pratiques coréennes connaissent leurs limites avec l’embauche de consultants en relations humaines français dont l’un est un ancien directeur de l’usine sidérurgique de Longwy-Réhon, juge au Tribunal de commerce de Briey et consultant à la mission interministérielle du pôle européen de développement.

Ces aménagements n’empêchent pas de graves conflits d’éclater à Mont-Saint-Martin, où les salariés n’acceptent plus, entre autres, de passer dans une cellule vitrée à leur retour de maladie, épié par les cadres de l’entreprise pour une durée qui peut aller jusqu’à plusieurs jours. Le conflit de 1999 met à jour la vie quotidienne dans ces unités de production qui semblent en apesanteur par rapport au droit du travail français. La jeunesse des sections syndicales et le manque de maîtrise des structures locales, régionales et fédérales engendrent des réactions mal comprises certaines fois à l’extérieur de l’entreprise ainsi que des « changements de casquettes » de délégués syndicaux difficilement compréhensibles dans le contexte local de la reconversion.

Tout cela va peser fortement à partir du moment où les ondes du krach boursier asiatique atteignent les usines lorraines : il n’y a plus de place pour les promesses de créations d’entreprises (Verdun devait être une extension de Mont-Saint-Martin..) et les bruits de fermetures des sites se font insistants à la suite du refus des banques de rallonger les créances. Le voile se déchire complètement lorsqu’on apprend que les cotisations sociales ne sont plus payées, que l’unité de production de Mont-Saint-Martin a toujours généré du déficit d’exploitation, qu’une grande partie des commandes faite pour les unités polonaises n’est pas payée et que…. la liste s’allonge.

L’année 2002 confirme les voyants rouges puisqu’on annonce la fermeture des trois sites de production lorrains : Villers-la-Montagne et Fameck pour la fin de l’année 2002 et Mont-Saint-Martin (qui n’a pas fini de produire les tubes cathodiques destinés à la Pologne) en 2003.

Ces fermetures annoncées amplifient les divergences d’analyses entre les sections syndicales des usines, qui après un démarrage de conflit « musclé » négocient des plans sociaux dont tous les tenants et aboutissants ne sont pas nécessairement analysés lors de la signature de ceux-ci.

Le conflit le plus dur (envers la direction comme entre les sections syndicales) se déroule à Mont-Saint-Martin fin 2002-début 2003. Une occupation dure, menée par l’intersyndicale CGT-FO-CFTC se heurte à la CFDT qui souhaite privilégier la négociation du plan social. Alors que les discussions sont en cours avec la garde d’un trésor de guerre, un incendie à l’origine toujours non élucidée à ce jour détruit l’usine et précipite la liquidation de biens qui permet à Daewoo de ne rien payer et à l’Etat de se substituer à l’entreprise défaillante pour assurer le minimum légal dans le cadre d’un licenciement collectif et pour le reclassement des salariés.

Cet incendie permet à la police de criminaliser les personnes considérées comme actives en les mettant en garde à vue, puis en mettant en examen 4 salariés ainsi que la secrétaire de l’union locale CGT pour 2 jours. Après plusieurs semaines de prison, tout le monde est libéré, faute de preuves ! !

Le personnel d’encadrement coréen, sans avoir été auditionné par la justice française, regagne la Corée et va poursuivre son ascension sociale et professionnelle.

Pendant cette période, Kim-Woo-Chung est dévoilé comme corrupteur de l’appareil politique coréen, responsable de détournement de fonds (quelques milliards de dollars) et recherché par Interpol, qui plus est poursuivi par des syndicalistes coréens.

Il n’est d’ailleurs pas bien loin, en France dans un château à côté de Nice, salarié consultant d’une entreprise d’ingénierie française, non extradable car citoyen français, protégé par la police et pouvant circuler dans toute l’Europe (sauf en Espagne qui a une convention d’extradition avec la Corée).

Conclusion : et les salariés licenciés ?

Des trois usines, seule celle de Fameck a été reprise (par Thyssen) ; mais pas tous les salariés ; les deux autres sites (Villers : 150 salariés et Orion : 550) ont vu l’ensemble de leur personnel licenciés ; pour l’ensemble des salariés des sites, ce sont des « agences privées de l’emploi » qui ont été choisies par les comités d’entreprises en accord avec les autorités locales pour aider les salariés à licencier à retrouver un emploi.

On les appelle des cellules de reclassement ; elles sont payées au résultat, c’est-à-dire, quand elles ont trouvé un emploi ou un stage de formation aux salariés licenciés de Daewoo, ou du moins à ceux qui sont volontaires pour être pris en charge par ce type d’organisme ; les emplois doivent répondre à un certain nombre de critères en qualification et en durée ; c’est la seule condition pour que les « cellules » soient rémunérées ;

l’ANPE, agence nationale pour l’emploi, n’intervient que lorsque le congé de conversion des salariés licenciés est terminé – en général au bout d’un an ou de 15 mois pour les plus de 50 ans - et que ceux-ci sont toujours demandeur d’emploi. Le statut de « congé de conversion » fait que les salariés sont toujours considérés comme salariés de l’entreprise ; mais ils ne touchent évidemment pas leurs salaires, mais un pourcentage (65 %).

Certains touchent également des primes de licenciement et ne sont considérés comme chômeurs avec une allocation de chômage qu’au bout de 6 mois ; c’est ce que l’on nomme un délai de carence et la prime sert donc à compléter le coût de la vie quotidienne qui ne peut être assuré par le montant du congé de conversion. D’autres, comme les 550 salariés de Daewoo-Mt St Martin n’ont touché aucune prime et ne bénéficient que du montant décidé par les autorités régionales et locales du congé de conversion.

A l’heure actuelle, la majorité des salariés licenciés n’ont pas retrouvé d’emploi ; une petite partie, surtout parmi les salariés les plus jeunes et les plus diplômés, suit des stages de formation ; une autre partie, surtout des femmes (entre 40 et 50 ans) acceptent toutes les missions d’intérim qu’elles trouvent en attendant une proposition plus intéressante, dans la crainte qu’elles sont de ne plus retrouver d’emploi.