JUSTICE POUR KAMEL BELKADI !
Jean-Christophe Chaumeron, Catherine Lévy et Dominique Manotti ont assisté au procès de Kamel Belkadi, au tribunal correctionnel de Briey, les 2 et 3 septembre 2004. Ils signent ensemble le compte rendu de ce procès :
Le 23 Janvier 2003 vers 20 heures 30, un incendie
se déclarait à l’usine Daewoo de Mont Saint Martin qui fabriquait des tubes
cathodiques. Les expertises concluront à
un incendie volontaire. En quatre heures de temps, et malgré l’intervention
rapide de brigades de pompiers de France, du Luxembourg et de Belgique, les
flammes détruisent totalement la partie stockage de l’usine.
Cet incendie se déroule
dans un contexte très particulier. L’usine est au bord de la faillite depuis
des années. Elle dépend d’un groupe international coréen, Daewoo, qui a lui
même connu une faillite frauduleuse en Corée en 1999. L’usine perd de l’argent
dans des proportions considérables à chaque exercice depuis des années, et
la seule question qui se pose à son endroit est : Comment a-t-elle pu
continuer à fonctionner pendant si longtemps ?
Quand l’incendie se déclare,
l’usine connaît un conflit social qui a démarré au milieu du mois de décembre,
quand la nouvelle a filtré que les salaires de décembre ne seraient pas payés,
et qui a connu des formes diverses, avec arrêts de travail, rétention des
dirigeants, occupation.
Daewoo Mont Saint Martin
est mise en redressement judiciaire le 9 janvier 2003. L’enjeu est la négociation
d’un plan social décent par cette entreprise qui fut un gouffre à subventions
publiques et crédits divers. Quelques jours après l’incendie, l’entreprise
est mise en liquidation judiciaire, les patrons disparaissent du paysage,
et l’Etat se substitue à eux dans le règlement des conséquences sociales de
la fermeture de l’usine.
L’enquête
de police, immédiatement mise en œuvre, débouche en mars 2003 sur l’arrestation
et la mise en examen pour incendie volontaire de Kamel B, qui fera trois mois
de prison préventive.
Il
passe en jugement au tribunal correctionnel de Briey les 2 et 3 septembre
2004. Le 12 octobre, prononcé du jugement, il est reconnu coupable d’incendie
volontaire, et condamné, conformément aux réquisitions du parquet, à trois
ans de prison dont dix huit mois ferme.
Cette
affaire n’a intéressé personne à l’échelle nationale, ni les partis, ni les
syndicats, ni la presse d’opinion.
Pourtant,
à nos yeux, une analyse détaillée du procès en correctionnelle tel qu’il s’est
déroulé est révélatrice de la façon dont fonctionne aujourd’hui la justice
en France, tout autant que des affaires contemporaines beaucoup plus médiatisées
comme celle du procès d’Outreau.
I Avant le procès : Comment
a été menée l’enquête.
Dès
l’origine, en mars 2003, et de manière inlassable, l’Union Locale CGT a dénoncé,
par tracts et communiqués, une enquête bâclée et partiale, entièrement orientée
vers la recherche d’un bouc émissaire.
Aussi
le procureur a-t-il cru nécessaire de commencer son réquisitoire en affirmant
que l’enquête avait été exemplaire, et d’en reprendre étape par étape le déroulement.
C’est cette partie de son réquisitoire que nous allons analyser. Point par
point.
. Tout d’abord, nous dit le procureur, les enquêteurs
sont partis du point de vue que l’incendie volontaire n’était le fait « ni
des syndicats, ni des patrons. »
Affirmation
tout bonnement stupéfiante. Ainsi, dans cette enquête exemplaire, dixit le
procureur, les enquêteurs ne cherchent pas d’abord à recueillir des faits
matériels, mais, et la suite démontrera que c’est bien la démarche qu’il mettront
en œuvre jusqu’au bout, à profiler (c’est à la mode) des coupables plausibles.
On voit bien qu’on est, d’entrée de jeu, au cœur des dérives actuelles de
la justice française.
. Deuxième objet de réflexion : les enquêteurs
cherchent sans doute à se donner une allure d’objectivité en excluant à ma
gauche les syndicats, à ma droite les patrons.
Sauf
qu’il n’existe aucune commune mesure entre les syndicats et les patrons dans
cette affaire. Voyons un peu.
Les
syndicats. On est en Lorraine, vingt ans après l’effondrement des mines de
fer et de la sidérurgie qui étaient les bastions d’une puissance syndicale
considérable, qui fut capable à plusieurs reprises de décider et d’organiser
des actions « illégales » (attaques de commissariats, radios clandestines
etc…). Ces syndicats là ne sont plus qu’un souvenir nostalgique. Les effectifs
sont décimés, les organisations laminées. A l’échelle locale, ils sont profondément
divisés entre eux, et la structure la plus active, l’Union Locale CGT, n’est
pas soutenue par l’ensemble de la Confédération à laquelle elle appartient.
Dans ce contexte, on voit très mal où, comment, par qui aurait pu être discutée
et mise en œuvre une décision d’action de portée aussi révolutionnaire que
de mettre le feu à une usine. Nous ne sommes d’ailleurs pas sûres qu’une telle
décision ait jamais été prise par aucune organisation syndicale en France.
De
plus, les syndicats dont nous parle le procureur n’ont aucun intérêt à mettre
le feu aux stocks de l’usine, puisque la décision vient d’être prise, en CE
extraordinaire, le matin même de l’incendie, de se servir de la vente des
stocks pour financer le plan social à venir. D’ailleurs, le procureur leur
en donnera acte à plusieurs reprises dans le cours du procès. Voyez comme
il est objectif.
Les
patrons de Daewoo. Il s’agit là d’une tout autre histoire.
Généralement,
quand les média parlent de Daewoo, depuis quelques années, ils ont pris l’habitude
de parler d’entreprise « sulfureuse ». Il ne s’agit pas d’une entreprise
sulfureuse, mais d’une entreprise de gangsters….
.
Chez Daewoo, l’exemple vient du sommet en matière de corruption et de désertion
devant les responsabilités patronales. Chairman Kim, le président charismatique
du chaebol Daewoo, s’était déjà enfui de Corée en 1985, pour échapper à des
poursuites pour collaboration étroite avec la dictature, puis en 1995, accusé
de corruption (plusieurs dizaines de millions de dollars, quand même), et
condamné à deux ans et demi de prison, il s’était réfugié en Lybie, et s’était
bombardé ambassadeur itinérant du groupe, avant d’obtenir des mains de Juppé,
d’abord la légion d’honneur, au titre de commandeur (juin 1996), puis le cadeau
de Thomson Multi média, pour un franc symbolique (octobre 1996), avant que
les milieux dirigeants français n e se ressaisissent, et ne forcent Juppé
à revenir sur cette décision (décembre 1996). Mais la carrière criminelle
de Kim ne s’est pas arrêtée là. En 1999, le chaebol fait faillite. Les liquidateurs
découvrent que le président Kim est parti en emportant une somme de l’ordre
de deux milliards de dollars. Mais chairman Kim a de nouveau disparu. Il ne
sera retrouvé que quelques années plus tard, en
France, où il est à l’abri de toute extradition, car il a été naturalisé français
en 1987, pour « services exceptionnels rendus à la France » ( ? !)et
cette naturalisation a été signée par Philippe Séguin, ministre des affaires
sociales.
Mais
Chairman Kim n’est pas isolé dans le groupe. Ainsi, le PDG de Daewoo Pologne,
avec lequel Daewoo Mont Saint Martin réalisait 70% de son chiffre d’affaire
annuel, avait été condamné en Corée, avant d’être nommé en Pologne,
à de la prison pour avoir corrompu un ministre, et l’avoir ensuite fait chanter
en menaçant de révéler la corruption, pour récupérer la somme versée à son
profit.
A
Daewoo Mont Saint Martin même, la situation n’est pas meilleure du point de
vue de l’application de la loi. Le cabinet d’experts sollicité par le CE remet
son rapport en 2000, et constate que l’usine vend à perte à Daewoo Pologne.
Et plus elle vend, plus elle perd, ce qui est le cas entre 1997 et 1999, où
chaque année, la production et les pertes augmentent, et le chiffre d’affaires
baisse. La justice française n’a pas cherché à savoir ce qui se passait en
Pologne. Pourtant, 1998 et 1999 sont les années où Chairman Kim prépare son
départ vers la France en détournant des sommes incroyables. D’après la presse
indépendante coréenne, sa technique consistait à truquer le montant des actifs
et les revenus de certaines unités du groupe pour obtenir des prêts bancaires
dont il se faisait verser une partie sur des comptes personnels secrets. Il
aurait été judicieux de chercher à savoir si la mise en faillite volontaire
de Daewoo MONT SAINT MARTIN a permis à Kim d’opérer ce type de transferts
en Pologne.
Tout
cela, le procureur du tribunal de Briey le sait parfaitement quand il déclare :
« ni les patrons, ni les syndicats. » Il le sait parce que tout
ce qui concerne les sommets de l’entreprise a été publié dans la presse, et
ce qui concerne Mont Saint Martin a fait l’objet d’une plainte déposée par
M° Behr au nom des représentants syndicaux de Daewoo MONT SAINT MARTIN contre
la société Daewoo MONT SAINT MARTIN pour abus de bien social et banqueroute.
Ne
nous arrêtons pas en si bon chemin.
Si
l’incendie volontaire n’est pas dans les mœurs syndicales ouvrières, il est
difficile de dire qu’il est totalement ignoré des patrons. Toutes les compagnies
d’assurances ont des services spécialisés dans la répression des fraudes dont
une bonne partie de l’activité est consacrée à enquêter sur des incendies
dont elles soupçonnent qu’ils ont été volontairement déclenchés par des patrons
dans le but de « toucher l’assurance ».
Dans
le cours du procès, il apparaîtra que Daewoo Mont Saint Martin connaissait
de très graves manquements à la sécurité anti-incendie, bien avant le 23 janvier
2003.
Tout
d’abord, le rapport des experts de 2000 fait apparaître une chute très importante
des sommes consacrées aux réparations et entretien dans l’usine . –40%
entre 1998 et 1999, -25% pour le gardiennage, -20% pour les frais d’assurances.
Résultat : le système de sécurité antiincendie était profondément défaillant.
Le 3 janvier, un spinkleur étant abîmé, toute une zone est neutralisée, le
temps d’une réparation qui ne vient pas. C’est justement la zone dans laquelle
se déclenchera l’incendie du 23 janvier. Bien que la société d’entretien soutienne
qu’elle est intervenue le 18 janvier, les pompiers constateront que le 23
janvier le réseau des sprinkleurs était hors service sur la zone de l’incendie,
et le réseau d’alarme dégradé. il s’avèrera également que la lance à incendie,
que les ouvriers cherchèrent à mettre en action pour lutter contre l’incendie
naissant, n’était pas branchée sur un circuit d’approvisionnement en eau.
Code
du travail, article L 230-2 : « Le chef d’établissement prend les
mesures nécessaires pour assurer la sécurité ou protéger la santé physique
ou morale des travailleurs. » Les articles suivants imposent au chef
d’établissement de prendre les mesures nécessaires pour que tout commencement
d’incendie puisse être rapidement combattu dans l’intérêt du sauvetage du
personnel. M° Berh, au nom des représentants syndicaux au CE, a donc déposé
plainte pour infraction à la réglementation du travail et mise en danger de
la vie d’autrui.
Mais,
excluant d’emblée « les patrons », voir plus haut, l’enquête ne
s’intéressera à aucun de ces manquements graves. Les seuls dont on entendra
parler abondamment dans le procès sont les extincteurs que les ouvriers s’amusaient
à vider ou à dérober. Pire, dans les milieux de l’enquête, personne ne sera
intrigué d’apprendre que Daewoo a résilié son contrat d’assurance incendie
le 1° janvier 2003. La présidente du tribunal aura même une explication simple :
l’assureur ne voulait plus assurer parce qu’il y avait un conflit social.
Encore la faute aux ouvriers. Si les enquêteurs excluent d’emblée de poser
des questions aux patrons, la résiliation d’une assurance antiincendie est
un fait suffisamment rare pour que nous puissions légitimement nous demander
si, ainsi, les patrons de Daewoo entendaient se mettre à l’abri des enquêtes
menées par les inspecteurs des compagnies d’assurances, qui n’auraient certainement
pas fonctionné sur le même principe de départ que celle de l’instruction.
Evidemment,
une autre question se pose immédiatement : la résiliation du contrat
d’assurance anti-incendie ne fait elle pas disparaître tout intérêt financier
qu’auraient pu avoir les patrons de Daewoo à déclencher volontairement l’incendie
de leur usine ? Le procureur, d’ailleurs, ne manquera pas de le souligner,
comme en passant.
Et
bien, non.
La
société Daewoo Mont Saint Martin qui, pour un chiffre d’affaires annuel d’environ
350 millions de francs subit des pertes de l’ordre de 150 millions de francs
depuis plusieurs années, est dans une situation inextricable. Elle a consommé
250 millions de subventions directes, sans compter les aides indirectes, ni
les crédits bancaires sans doute énormes, et frauduleux compte tenu de la
structure du bilan de l’entreprise.. Elle est mise en redressement judiciaire
le 9 janvier 2003 . L’administrateur judiciaire écrit que la poursuite
de l’activité de l’entreprise passe par le versement immédiat, « sans
opposer de compensations, de la somme de 3 223 000 euros (soit environ 21
millions de francs). » Pour Daewoo Mont Saint Martin ainsi que pour tous
ceux qui lui ont apporté un soutien financier constant, sans se préoccuper
de la structure mafieuse de l’entreprise, l’heure des comptes a sonné…
Du
moins on aurait pu le croire. Le 23 janvier, l’incendie détruit une partie
de l’usine, la société est mise en liquidation judiciaire, les patrons coréens,
les sociétés propriétaires (Daewoo Electronics et Daewoo Orion) disparaissent
de la scène, les dispensateurs de subventions et de crédits aussi, l’Etat
se substitue à l’entreprise défaillante pour le financement du plan social,
tout l’intérêt se concentre désormais sur la recherche de l’incendiaire, dont
nous allons bientôt voir qu’il ne peut s’agir que d’un ouvrier colérique et
isolé.
Résumons
nous. Nous n’accusons personne. Aucun élément matériel ne nous permet de le
faire. Mais nous dénonçons avec la dernière vigueur le scandale que constitue,
du point de vue d’une enquête criminelle bien menée, cette phrase introductive
du procureur :
« Les
enquêteurs sont partis du point de vue que l’incendie n’était le fait ni des
syndicats, ni des patrons. »
Cette
phrase constitue un triple scandale.
.
Elle engage dès le départ l’enquête sur le profilage de l’incendiaire et non
sur la recherche de preuves matérielles, ce qui entraîne une enquête mal formée,
boiteuse dès sa naissance.
.
Elle prétend à une pseudo impartialité « ni syndicats ni patronat »,
dont le procureur se louera un peu plus tard en insistant sur la « remarquable
impartialité » de l’enquête, sa « démarche sereine de recherche
de la vérité », alors que la mise hors de cause des syndicats n’a qu’une
seule fonction réelle : permettre celle des patrons de Daewoo, même si
le groupe a un très lourd passé connu d’escroqueries, de malversations, de
corruption et de faillite frauduleuse, même si le patron est en infraction
permanente, et depuis longtemps, en matière de sécurité anti-incendie, même
si le groupe Daewoo s’avère être le bénéficiaire direct de l’incendie.
.
Non seulement le procureur valide ces
dérives de l’enquête, mais il s’en vante, et les érige en pratiques exemplaires.
Le procureur de la République serait-il un grand naïf, à qui tout ce que nous
venons de rappeler aurait échappé ? Nous ne le pensons pas. Mais même
si cela était, cette cécité ne pourrait en aucune manière être retenue comme
une circonstance atténuante. Il est des fonctions où il est interdit d’être
naïf et aveugle.
Après
ce départ en fanfare, si le coupable n’est « ni les syndicats, ni les
patrons », alors qui est-il ? Le procureur répond très tranquillement :
« Un ouvrier isolé, un « franc tireur » qui a agi dans un moment
de colère et d’égarement. »
N’oublions
pas que nous sommes toujours dans la phase préalable à l’enquête. Le travail
d’enquête proprement dit n’a toujours pas commencé. Avant de chercher, les
enquêteurs définissent qui il cherchent. Maintenant, ils le savent. Chaque
mot compte. Un ouvrier. Nous avons vu que de ces pelés, ces galeux venait
tout le mal. Ils abîment les extincteurs, mettent du désordre, volent des
petits objets, sont sales. Et revendiquent quand on leur annonce que leur
salaire du mois ne sera pas payé. Un comble. Franc tireur (ce qui signifie
probablement, dans la pensée des enquêteurs, non syndiqué, ce qui permettra
d’éviter d’éventuels ennuis, voir plus haut). Colérique. L’enquête peut commencer.
II L’enquête :
trouver quelqu’un qui corresponde au profil défini.
De
nouveau, le procureur ne laisse rien ignorer de la méthode employée dans cette
enquête exemplaire. La méthode est simple : les enquêteurs interrogent
systématiquement tous les ouvriers (travail considérable, auquel le procureur
rend hommage), et leur demandent qui, parmi eux, à leur avis, est isolé, actif
dans la grève (sinon, il n’aurait pas été présent sur les lieux, et ça compliquait
le problème), et colérique, capable de péter les plombs. Et la rumeur
répond. « La rumeur dit que c’est Kamel B qui a mis le feu, car
il s’est beaucoup agité pendant toute le grève. » (sic). Kamel B. Il
est non syndiqué, très actif dans le mouvement (et cela reviendra comme un
leitmotiv dans les charges retenues contre lui, il est là, il parle, il agit
dans toutes les actions collectives), et colérique, « la rumeur »
l’affirme. Les policiers, en fouillant dans le passé de Kamel B trouvent ce
qui sera présenté au procès comme des antécédents. D’après ce que nous avons
compris pendant les débats, une vague affaire de violence, quand Kamel était
adolescent, et qui n’a donné lieu à aucune poursuite judiciaire. Peu de choses,
évidemment, comparé aux antécédents des patrons de Daewoo, mais il n’y a pas
lieu de faire la comparaison, puisque ceux ci sont a priori hors de cause.
Ces malheureux antécédents reviendront à plusieurs reprises dans les débats,
et il faut souligner l’intérêt pour une justice bien comprise de multiplier
les procédures du type « violences et outrages ». Elles constituent
à tout hasard un stock d’antécédents dans lesquels on pourra puiser plus tard,
si on en a besoin.
Kamel
B est en plus d’origine maghrébine, musulman pratiquant. Là, on ne sait plus
dire si la « rumeur » vient de là, ou s’il s’agit simplement d’une
heureuse coïncidence.
Peu
importe. A partir de cet instant, les enquêteurs tiennent leur coupable. Et
avec un tel profil, il est bien peu probable qu’un vaste mouvement de solidarité
qui gênerait le bon déroulement de l’enquête et la sérénité de la justice,
ne se déclenche dans la population lorraine.
Bien
vu. Quand Kamel sera arrêté, seule l’UL CGT prendra sa défense, et organisera
une manifestation « de masse » peu massive.
III Prouver la culpabilité du coupable identifié.
Désormais,
dans son réquisitoire, le procureur abandonne le suivi pas à pas de l’enquête.
C’est qu’il s’agit là d’un travail pratiquement de routine. Il y a dans ce
domaine un savoir faire policier. Les magistrats acceptent ou non d’en être
dupes. C’est leur responsabilité. Une fois trouvé le coupable, les policiers
établissent, sans doute en recroisant des témoignages, qui se trouvait avec
lui au moment du déclenchement de l’incendie. Et arrêtent et placent en garde
à vue Kamel B et deux ouvriers. Pour faire bonne mesure, ils mettent également
en garde à vue la secrétaire de l’UL CGT, mais là, il s’agit probablement
d’une simple mesure d’intimidation.
Kamel
B nie tout, et niera toujours tout. Il fait trois mois de prison préventive.
Routine. L’attention se concentre sur les deux autres ouvriers, qui sont des
témoins à charge potentiels.
Le
premier, Ali, répète avec obstination que Kamel était avec lui au moment des
faits, et ne s’est pas absenté. A la fin de sa garde à vue, il est maintenu
en prison, aucune raison ne sera donnée pour cette détention. Au bout de trois
semaines de prison, nul n’est tenu à l’héroïsme, il accepte de charger Kamel
devant le juge d’instruction, oui Kamel s’est absenté juste avant l’incendie,
et il est relâché le soir même. Dès qu’il sera en liberté, il se rétractera,
et au procès, il dénoncera les pressions policières et celles du juge d’instruction
dont, d’après lui, il aurait été victime. Et il réaffirmera que Kamel est
resté avec lui le soir de l’incendie. Au procès, aucune raison ne sera fournie
pour sa détention de trois semaines.
Le
troisième ouvrier, qu’on appellera PT, est interrogé plusieurs fois pendant
sa garde à vue. Il confirme d’abord les dépositions d’Ali et de Kamel. Puis,
sous la pression d’un feu roulant de questions, PT déclare : « Je
vais vous dire ce qui s’est réellement passé », et procède à une déclaration
« spontanée », sans qu’apparaisse aucune question policière, de
deux pages, donnant une version tout à fait nouvelle des faits, nouvelle et
complète, puisqu’il s’avère que c’est lui qui prête son briquet à Kamel, lequel
lui dira un peu plus tard, pour faire bonne mesure, « c’est moi qui ai
mis le feu à l’usine. »
Immédiatement
après cette déclaration, PT est relaché tandis qu’Ali restera trois semaines
en prison.
Cela
ne suffit évidemment pas pour dire que cette déclaration est un montage policier,
mais dans la mesure où elle est la pièce essentielle de l’accusation, cela
signifie qu’il faudra être particulièrement vigilant, à l’audience, à la cohérence
et à la personnalité du témoin PT.
En
tout cas, grâce à ce témoignage, le juge d’instruction et les policiers estiment
avoir établi la culpabilité de Kamel B, celui que la « rumeur »
désignait dès le départ comme l’incendiaire. Ca tombe vraiment bien. Trop
bien ? L’enquête exemplaire est bouclée, le procès peut commencer.
IV Le procès.
Le
procès est, dans l’ensemble d’une procédure judiciaire, le grand moment, celui
pendant lequel, dans la confrontation des parties, de l’accusation, de la
défense, dans les débats oraux, émerge une certaine forme de vérité. Enfin,
c’est ce que l’on entend souvent dire. Le procès de Kamel B n’a pas fait exception
à la règle.
La
vérité d’une justice de classe, d’abord. Et c’est assez surprenant, à un moment
où beaucoup se demandent si les classes sociales existent encore. Quand on
a assisté au procès de Kamel B, à Briey, on n’a plus guère de doutes.
D’abord,
la façon dont la Présidente ou le Procureur décrivent la situation de l’usine
au moment des faits. Usine occupée, sale, des déchets partout, des vols incessants
d’ordinateurs ou d’autres choses, on ne saura quoi. On sent le recul, le dégoût.
De là à rendre les ouvriers collectivement responsables de l’absence de sécurité
antiincendie, il n’y a qu’un pas qui, on l’a vu, est vite franchi. Le procureur
et la présidente reviennent constamment sur les extincteurs vidés ou volés
par les ouvriers. Pourtant, la présidente n’ignore pas la démission patronale
totale : les patrons ne viennent plus à partir de décembre, ils quittent
définitivement la France quelques jours après l’incendie. Les extincteurs
ne sont rien à côté du système de sprinklers ou de la lance à incendie qui
ne sont pas entretenus, pas branchés sur le circuit d’eau, et ne fonctionneront
pas le soir de l’incendie. Ces manquements sont brièvement énumérés, brièvement,
sans qu’on y revienne, et sans stigmatisation. Ne parlons pas, évidemment
des détournements de fonds et escroqueries diverses qui, eux, ne sont même
pas évoqués. Alors que le laissez aller et le chapardage ouvriers…
Les
comportements les plus habituels ne sont pas compris, et font peur. Ainsi,
quand des grévistes pendent un mannequin à l’entrée de l’usine symbolisant
le patron coréen, le procureur parle « d’horreur ». Et quand Kamel
et quelques autres parlent de « mettre le feu », la présidente y
voit la preuve irréfutable qu’ils vont passer à l’acte, considérant sans doute
les ouvriers comme des êtres trop primaires pour user de langage symbolique.
Elle
laissera même à un moment échapper une phrase terrible. Confrontée à l’impossibilité dans laquelle
se trouve PT, le témoin clé de l’accusation, de formuler une phrase complète,
elle soupire, résignée :
-
Pour recruter pour des chaînes de montage, on ne recrute pas parmi l’élite
de la société.
Qui
lui dira, à cette présidente qui sue le mépris et l’ignorance, à quel point
cette phrase est choquante ? Elle n’imagine même pas les histoires et
les destins individuels qui s’enchevêtrent autour d’une chaîne de montage,
l’amour, la bassesse, les savoirs faire, les compétences, la misère, le courage,
le malheur, la culture, la lâcheté ou l’héroïsme, l’humanité en somme que
racontent chacun de ces hommes, chacune de ces femmes. Pour madame la présidente,
qui est consciente d’appartenir à
l’élite de la société, ils sont à leur place, en bas, sans valeur, la lie
de la société. Que PT ne soit pas capable d’articuler une phrase, c’est normal,
puisqu’il est un ouvrier d’une chaîne de montage. Quant à elle, elle sera,
pendant tout le procès, incapable d’énoncer les noms des protagonistes sans
les écorcher plus ou moins lourdement, la palme revenant à « Giovanardi »,
qu’elle ne parviendra pas à prononcer correctement une seule fois, manifestement
trop long et trop étranger pour la présidente.
Cette
peur, ce mépris se cristallisent dans une attitude franchement antisyndicale.
Evidemment, cette attitude n’est pas affichée d’entrée de jeu. Au contraire,
on a vu que le procureur dans son fameux « ni patrons, ni syndicats »
s’attachait à présenter une enquête impartiale, équilibrée… Mais chassez le
naturel, il revient au galop.
Dans
une affaire annexe de feu de poubelle, qui n’avait été jointe à celle de Kamel
B que pour permettre au tribunal de se montrer équilibré, en relaxant l’un
et condamnant l’autre, le procureur retient à la décharge du prévenu qu’il
n’est pas syndiqué, et qu’il a accepté de témoigner contre des syndiqués.
Le
vocabulaire employé par les magistrats pour parler des syndicalistes est surprenant :
obédience, acolytes, meneurs. Le comble est atteint lorsque deux délégués
FO témoignent que Kamel B était au poste de garde au moment du déclenchement
de l’incendie. Le procureur se contente de les traiter de menteurs et de faux
témoins parce que syndicalistes. L’un des deux hommes, lorsque l’alerte
incendie fut donnée, se précipita à l’intérieur de l’usine pour couper les
vannes d’arrivée du gaz, ce qui évita peut être une explosion meurtrière du
type d’AZF à Toulouse. Mais ce n’est pas lui qui a été décoré de la légion
d’honneur, c’est Kim, le patron de Daewoo qui a fait une faillite frauduleuse
de plusieurs milliards de dollars. Lui, il a juste eu droit aux qualificatifs
de « menteur et faux témoin ». Nous l’avons croisé en sortant du
procès. Il ne s’était pas encore remis du traitement que lui avait infligé
le procureur.
Enfin,
la présidente et le procureur nous ont décrit la CGT de Longwy avec les couleurs
qu’on aurait pu employer pour parler du KGB il y a cinquante ans.
Isabelle
Bany, la secrétaire de l’UL CGT, est décrite comme une « passionaria »,
une « meneuse », responsable de ce qui est arrivé (« vous voyez
où ça vous a menée tout ça »), et qui, d’une main de fer, fait régner
la terreur à Longwy.
Ainsi,
si les salariés de Daewoo se réunissent à l’UL, après l’incendie de l’usine,
ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas d’autre lieu pour le faire, et qu’une
union locale est faite pour ça, c’est pour permettre à Isabelle Bany de suborner
les témoins, et fabriquer des faux témoignages cohérents. Si Isabelle Bany
accompagne des ouvriers au commissariat de police, ce n’est pas une simple
mesure de précaution (les magistrats de Briey semblent ignorer que la confiance
populaire dans la police républicaine est si faible que la consigne de ne
jamais laisser un collègue, un camarade ou un ami aller seul au commissariat
est générale dans les syndicats ou les associations), c’est pour contrôler
ce que disent les témoins que, d’après les magistrats, elle ne cessera de
menacer (de quoi ?), outrepassant ainsi son rôle de syndicaliste (que
les magistrats s’autorisent à définir ?). Elle sera d’ailleurs elle aussi
mise en garde à vue, on ne saura pas pourquoi. Mais les magistrats ne semblaient
pas penser qu’il s’agissait là, pour le coup, d’une menace ou d’une mesure
d’intimidation. Pas plus que les trois semaines de prison pour Ali, ou le
témoignage de PT obtenu pendant la garde à vue. Parce que eux, les magistrats
de Briey, ils n’ont jamais eu peur des policiers. Tandis que les rouges… Puissance
des fantasmes.
Mais
ce procès réservait bien d’autres surprises. En deux jours de débats, l’accusation
s’est effondrée.
Le
premier tournant, extrêmement spectaculaire, fut l’audition du témoin G. dont
a priori on n’attendait pas grand chose.
Dans
la version retenue par l’accusation, Kamel B prend un Fenwick près du poste
de garde à 20 heures 20, se rend à proximité du secteur de l’emballage, à
l’arrière de l’usine, construit un bûcher, retourne à l’emballage, revient
au bûcher, y met le feu, puis rejoint PT et ensemble ils se rendent à pied
au poste de garde, où ils se trouvent à 20 heures 35. Pour que cette version
soit matériellement possible, il faut que Kamel B et son Fenwick soient passés
par une porte située au centre de l’usine, que l’on appellera dans les débats
« la porte rouge ». C’est d’ailleurs ce qu’affirme PT : « Kamel
est revenu avec le fenwick en passant par la porte rouge, face au poste de
garde » Or un témoin, monsieur G, qui, dans les dizaines de minutes qui
précédèrent l’incendie, était en train de téléphoner dans un bureau de l’administration
situé en face du poste de garde et à proximité de la porte rouge par laquelle
Kamel serait passé a déclaré aux policiers qu’il n’avait rien entendu passer
pendant qu’il téléphonait, et sûrement pas un Fenwick. Les Fenwicks de Daewoo
fonctionnent au gaz et font beaucoup de bruit. La défense fait donc citer
monsieur G. Mais au moment où il commence sa déposition, chacun, défenseur
comme accusation, croit qu’il répètera au tribunal ce qu’il a dit à la police :
il n’a pas entendu de Fenwick passer, et c’est tout. Dans ce cas, la tactique
du procureur est simple : le témoin n’a pas fait attention. Au mieux,
il se trompe. Au pire, c’est un faux témoin. Le procureur réfutera ainsi tranquillement
deux témoins qui affirment que Kamel B était dans le poste de garde au moment
du déclenchement de l’incendie : faux témoins. C’est tout, c’est simple,
et imparable. Seulement voilà, poussé par les questions de l’accusation et
de la défense, monsieur G s’agace un peu et précise : Il est certain
de ne pas avoir entendu de Fenwick, parce qu’aucun Fenwick ne peut passer
par là : la porte rouge est bloquée, et depuis un certain temps. Il ne
saurait préciser exactement, mais plusieurs semaines. Un homme peut passer
par là, mais pas un Fenwick. C’est un coup de théâtre. Très logiquement, la
défense s’en empare. Et, reprenant le minutage tel qu’il est fourni par l’accusation elle même, la défense démontre, « montre
en main » pourrait-on dire, que l’accusation ne tient plus si le Fenwick
ne peut plus passer par le centre de l’usine mais est obligé de contourner
les bâtiments par l’extérieur. Kamel B n’a plus le temps de partir du poste
de garde avec le Fenwick, de faire le tour de l’usine par l’extérieur, de
bâtir un bûcher, d’y mettre le feu, et de revenir à pied au poste de garde
dans les quinze minutes qui lui sont imparties par l’accusation elle même.
Il faut noter au passage que dans cette enquête « exemplaire »,
il n’y a pas eu de reconstitution.
Le
deuxième tournant est la déposition de PT.
PT
ne sait ni lire ni écrire. Il apparaît comme un homme dont le langage est
très pauvre, et il le manie avec difficulté. Il est interrogé par le tribunal
sur deux aspects principalement.
D’abord,
cette surprenante affirmation de Kamel B, qui lui dit, d’après sa déposition
spontanée : « J’ai mis le feu. »
La
Présidente : A quel moment Kamel B vous a-t-il dit : « j’ai
mis le feu » ?
PT :
Je ne m’en souviens plus.
-
Comment avez vous réagi ?
-
Je n’ai rien dit.
-
Quel intérêt avait-il à vous dire : J’ai mis le feu ? Que s’est-il
passé ?
-
Je ne sais plus.
La
Présidente arrête là, et passe au deuxième point, tout aussi fondamental,
celui du Fenwick que, d’après l’accusation, Kamel B serait censé avoir conduit,
et de l’itinéraire par lequel il serait passé. Dans sa déposition spontanée,
PT disait : « Il (Kamel B) est revenu avec le Fenwick en passant
par la porte rouge, face au poste du gardien.. je n’ai pas vu le Fenwick,
mais je l’ai entendu arriver… Je ne sais pas s’il a manœuvré avec le fenwick
dans le magasin. » (D’après l’accusation, Kamel B est censé avoir construit
un bûcher de palettes avec le Fenwick.)
La
Présidente : Vous entendez le Fenwick arriver ?
PT :
Oui.
-
Entendez vous le Fenwick manœuvrer ? Etes vous sûr d’entendre les mouvements
du Fenwick ?
-
Non.
Là,
la présidente s’énerve. Faites des phrases, des réponses complètes, oui non,
on finit par ne plus rien y comprendre. Et c’est à ce moment là qu’elle soupire :
Je sais bien que pour recruter pour les chaînes de montage on ne recrute pas
parmi l’élite de la société. Et elle reprend :
-
Entendez vous les manœuvres du Fenwick ?
-
Je ne les entends pas.
-
Entendez vous couper le contact ?
-
Je ne peux pas vous le dire.
-
Est ce que vous auriez entendu s’il y avait eu des manœuvres ?
-
Oui.
L’avocat
de la défense prend le relais.
-
Vous dites que vous entendez le Fenwick passer par la porte rouge, mais vous
ne le voyez pas. Pourquoi précisez vous : la porte rouge ?
-
C’est le chemin le plus court.
-
G. dit qu’elle était bloquée. Vous vous en souvenez ?
-
Non.
Le
procureur : Dans votre déposition, vous pensez à quelle porte ?
-
Celle là. Je ne savais pas qu’elle était bloquée.
A
une autre question de la Présidente : Qu’est ce qui vous a décidé à changer
de version ?, PT répondra : Quand j’étais en garde à vue, je ne
voulais pas tomber avec lui.
Témoignage
pathétique, mais qui ne laisse aucun doute au public silencieux qui assiste
au naufrage. PT n’est pas l’auteur d’une déposition spontanée, rédigée dans
un style ferme et vigoureux, émaillée de « je suis formel », et
donnant une version précise d’un enchaînement de faits complexes.
V
Le jugement.
Le
jugement est rendu quelques jours plus tard. Le tribunal suit les réquisitions
du procureur, et condamne Kamel pour incendie volontaire à trois ans de prison,
dont dix huit mois ferme. Peut on dire que c’était un verdict sans surprise,
joué d’avance, ou est-ce faire injure à la justice de notre pays ? En
tous cas, nous attendions avec curiosité la publication des attendus. Comment
la présidente du tribunal allait elle justifier une culpabilité qui ne reposait
plus sur rien ?
De
la façon la plus simple du monde : en ne tenant aucun compte des audiences
du procès. Il paraît que les juges ne sont pas tenus de le faire. Les attendus
du jugement ne contiennent pas le terme « porte rouge », ne mentionnent
pas l’impossibilité matérielle de l’enchaînement des faits tel qu’il apparaît
dans le réquisitoire, tel qu’il a été mis en pièce par la défense, à la suite
du témoignage de G. La présidente reprend seulement et tranquillement l’acte
d’accusation tel qu’il se présentait avant le procès.
Et
pour le témoignage de PT ? « M. PT incrimine de manière catégorique
M. B… Le niveau intellectuel du témoin, sa spontanéité parfois déconcertante
et le fait qu’il n’a strictement aucun intérêt à faire des déclarations mensongères
doivent conduire à tenir pour vraie sa version des faits. »
Aucun
intérêt ? Alors qu’il fait son témoignage en prison, sous la menace de
« tomber avec B s’il ne le dénonce pas ? » C’est pourtant une
menace un peu plus sérieuse que la terreur que ferait régner, d’après la présidente,
les hommes de main des rouges. La présidente tient PT pour un débile léger,
donc il dit vrai. Qu’il ne puisse être l’auteur de la déposition qui figure
dans le dossier sous son nom n’inquiète pas la présidente. Elle en a sans
doute vu d’autres.
Kamel
B a immédiatement fait appel.
Jean Christophe Chaumeron Catherine Lévy
Dominique Manotti
Syndicaliste Sociologue
Ecrivain