Tribune
Grève des internes en
médecine : Des motivations floues
Le conflit opposant
le gouvernement et les internes en médecine vient de se solder par une victoire
des jeunes médecins. J’aimerais en tant que professionnelle de santé apporter
quelques éléments permettant de mieux cerner l’enjeu de ce mouvement, enjeu
qui à mon avis était avant tout corporatiste et non pas de santé publique
comme les grévistes auraient voulu le faire croire, s’attirant ainsi la solidarité
de la population.
Je m’explique :
quelle était la raison de la grève ? Il s’agissait de 2 articles du PLFSS
(Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) 2008 qui visaient à
ne pas conventionner les médecins libéraux qui s’installeraient dans des zones
déjà surmédicalisées, ceci pour obliger les médecins à s’installer dans des
zones déficitaires où on a besoin d’eux pour soigner la population.
Il existe
en effet un grave problème de désertification médicale. Quelles en sont les
causes ?
On peut
incriminer une mauvaise gestion des gouvernements successifs avec notamment
l’instauration du numerus clausus au début des études de médecine. Sans doute,
dans un calcul un peu cynique, il était espéré ne pas faire augmenter trop
les dépenses de santé, en diminuant l’offre.
On peut
aussi s’interroger sur la pénurie dans certaines filières alors qu’il suffit
d’augmenter le nombre de postes d’internes, et donc d’étudiants en deuxième
année quelques années auparavant. C’est mathématique.
Mais,
il faut reconnaître que la densité médicale en France, avec 315,5 médecins
/ 100 000 habitants est une des meilleures d’Europe et que le nombre
de médecins a quasi doublé depuis 1979. On ne peut donc que constater que
la raison profonde de la désertification médicale est la mauvaise répartition
des professionnels sur le territoire. Ce n’est pas moi mais le bulletin de
l’ordre des médecins de septembre 2007 qui parle d « héliotropisme caractérisé »
des professionnels de santé !!!
Comment
résoudre ce problème dans un pays où les médecins dit « libéraux » jouissent
d’une totale liberté d’installation alors même qu’ils sont rémunérés
en grande partie par un système collectif : la sécurité sociale ?
(Finalement, on pourrait même se poser la question de la légitimité de l’exercice
libéral de la médecine et on pourrait alors rêver d’un véritable service public
de la santé…).
Depuis
3 ans, des mesures incitatives ont été mises en place afin d’aider les jeunes
médecins à s’installer dans des zones de désert médical (dénommées ZRR = zones
de revitalisation rurale) : exonération totale de l’impôt sur le
revenu pendant 5 ans puis exonération dégressive pendant 9 ans ; exonération
de la taxe professionnelle pendant 2 à 5 ans. De nombreuses régions proposent
également (je cite pèle-mêle diverses mesures existantes et dépendant des
conseils régionaux) : mise à disposition de locaux, mise à disposition
d’un logement, prise en charge d’une partie des frais de fonctionnement, versement
d’une prime d’installation, majoration de 20% des honoraires etc. + indemnités
(logement, déplacement, indemnité d’étude) aux internes de médecine générale
avec évidemment des périodes d’engagement minimales de 3 à 5 ans.
Ceci pour
dire que les mesures incitatives existent – et je ne sais pas ce que vous
en pensez mais elles sont assez lucratives – mais ne fonctionnent pas. (Il
paraît maintenant qu’on va les renforcer et que ça va marcher.)
Il s’agissait
alors de trouver un moyen de réguler l’installation des médecins. C’est pourquoi
il était question de mettre en place cette mesure autoritaire de non conventionnement
des médecins qui s’installeraient dans des zones surmédicalisées, obligeant
de fait ceux-ci à s’installer dans des zones rurales où ils n’ont pas envie
d’aller…
Les grévistes
brandissaient le spectre de la médecine à deux vitesses puisque les patients
qui les consulteraient seraient moins bien remboursés (le déconventionnement
implique de fait le non remboursement par l’assurance-maladie). En fait, on
ne comprend pas pourquoi les patients iraient consulter des médecins non conventionnés
dans des zones où l’offre médicale est déjà largement suffisante !!!
La réalité est que ces médecins n’auraient quasiment pas de patients, donc
pas de revenus.
Et puis,
ne pensez vous pas que la médecine à deux vitesses, elle existe déjà ???
A Nancy – comme ailleurs – quasiment tous les spécialistes sont en secteur
2 dit à « honoraires libres ». Ah oui, c’est vrai, si tu n’as pas
beaucoup d’argent, il y a (encore) l’hôpital public. Mais là aussi, système
à deux vitesses : les consultations privées (avec honoraires libres)
ou les consultations publiques (tarif fixe, conventionné). Inutile de préciser
que les délais ne sont pas les mêmes. Faut pas être pressé.
Je n’ai pas du tout
entendu les jeunes médecins se révolter contre cet état de fait, comme je
ne les ai pas entendus se mobiliser contre les franchises que les patients
vont payer !
P.T., médecin urgentiste.