Interview de Pierre Kovalski, délégué central CGT de
l’usine Kléber-Michelin à Toul (54)
Le groupe Michelin a annoncé début octobre son intention
de se débarrasser de l’usine Kléber à Toul. S’il parvient à ses fins, ce sont
826 salariés qui vont se retrouver immédiatement sur le carreau, et des
centaines d’emplois induits qui sont menacés dans la région.
Le Termite. Comment avez-vous appris
l’annonce de la fermeture de l’usine, et quelles ont été les réactions des
salariés ?
P.
Kovalski. On l’a appris le 3 octobre au matin, à l’occasion d’un
Comité Central d’Entreprise (CCE). La hiérarchie a immédiatement diffusé
l’information aux salariés. Personnellement je m’y attendais depuis pas mal de
temps mais quand je faisais état de mes craintes sur une probable fermeture de
l’usine on me traitait de “pessimiste”. La plupart des salariés ont été
assommés par la nouvelle, plusieurs ont dû être raccompagnés chez eux. C’est
une décision du groupe Michelin qui était prévisible au regard de ce qu’ils ont
fait ces dernières années. Leur seul objectif ce sont les bénéfices.
Le Termite. Comment la lutte
s’organise-t-elle ?
P.
Kovalski. On est en train d’étudier les solutions de rechange. Au CCE
du 16 octobre, la direction a fini par nous laisser entrevoir des tableaux sur
ses études et on pense qu’il y a des failles. On veut travailler là-dessus avec
les experts, et aussi monter des groupes de travail avec le personnel pour
prouver qu’il y a des solutions alternatives à la fermeture. Ça ne garantira
pas une victoire contre Michelin, mais cela nous donnera du poids dans la
discussion avec les pouvoirs publics. La lutte s’organisera en fonction de ce
qu’on apprendra, et c’est les gens qui décideront.
Le Termite. Dans vos tracts, vous
expliquez que Michelin fait de gros bénéfices (200 millions distribués aux
actionnaires en 2006) et que ces bénéfices permettraient de financer le
maintien de l’activité à Toul. Comment pensez-vous pouvoir contraindre Michelin
à un tel choix ?
P.
Kovalski. Les bénéfices réalisés chez Kléber suffiraient à sauver
l’usine s’ils étaient réinvestis chez Kléber au lieu de partir dans le circuit
financier de Michelin. Maintenant Michelin parle d’investissement pour faire du
pneu « 1ère ligne », alors qu’il dit lui-même que nous
sommes spécialisés en 2ème ligne. En ayant de bons arguments on
pourra avoir du poids vis-à-vis des pouvoirs publics. Les dernières annonces du
groupe laissent à penser que Michelin en est déjà à préparer sa prochaine
fermeture. Les reclassements dans le groupe ne résoudront pas grand
chose : il n’y a pas autant de place qu’on veut le faire croire. Et dans
le personnel peu sont intéressés. Plusieurs salariés ont accepté de venir de
Troyes pour travailler à Kléber Toul en 2001, et les voici de nouveau dans le
circuit. Il n’y a pas plus tard que six mois Michelin proposait aux salariés de
Bourges de venir s’installer à Toul !
Le Termite. On se rappelle que le 16
septembre 1999 Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait réagi à l’annonce
de la suppression de 2 000 emplois par Michelin (déjà) en déclarant : « Je ne crois pas qu'il faut tout
attendre de l'Etat ou du gouvernement. »
Huit ans plus tard, même si les élus s’affichent aux côtés des salariés de Kléber,
est-ce qu’on ne risque pas de voir se reproduire le même scénario ?
P.
Kovalski. Jusqu’ici les pouvoirs publics sont clairement rangés du
côté de Michelin. Un exemple : le préfet a dissuadé la direction du
travail de participer à la réunion du
CCE du 16 octobre, alors que juridiquement rien ne s’y oppose ! Est-ce que
la France deviendrait une République bananière au service des puissances
financières ? Le préfet reçoit la direction et le DRH de Kléber mais nous,
il ne nous connaît que par RG interposés. Ce qu’il dit en substance, c’est
qu’il jouera tout son rôle… pour accompagner la fermeture. Et le ministre est
sur la même ligne. Nous, nous refusons cette fatalité de la fermeture, tout
n’est pas joué.
Le Termite. En Allemagne les travailleurs d’une
usine de fabrication de vélos (Bike Systems GmbH, dans la province de Thuringe
Nordhausen), après avoir occupé leur usine depuis juillet, ont décidé de
reprendre la production en auto-gestion. Est-ce qu’une perspective de ce genre
est envisageable pour les pneus de chez Kléber ?
P.
Kovalski. Oui et non. On aurait en partie les moyens avec les plus
anciens dans l’entreprise qui sont installés depuis longtemps et n’envisagent
pas de quitter le Toulois, et certains cadres qui seraient peut-être même volontaires.
Cela dit on serait confronté à des manques industriels : les mélanges
utilisés dans la production des pneus sont livrés par Troyes et par une usine
allemande, on n’a pas d’atelier de mélanges à Toul. On resterait donc
dépendants de fournisseurs extérieurs, mais qui et à quel prix ?
L’autogestion, cela voudrait dire aussi se refaire une marque, mettre sur pieds
un service commercial, trouver une banque qui accepte de nous suivre. Et pour
la distribution, vendre des pneus c’est moins facile que des vélos où on peut
se débrouiller directement sur Internet.
Le Termite. Dans l’immédiat, comment les
uns et les autres peuvent-ils soutenir votre lutte ?
P.
Kovalski. Du côté du gouvernement on n’a pour l’instant aucun
soutien : main dans la main avec Michelin, le gouvernement se pose
jusque-là en fossoyeur. L’opposition politique nous soutient bien pour
l’instant, même si dans l’ensemble elle n’a pas été à la hauteur à l’époque de
Jospin, et si elle ne l’est pas plus aujourd’hui pour changer les choses. Il y a
eu la grosse manifestation du vendredi 12 octobre, avec 3000 personnes dans les
rues de Toul, qui a requinqué le moral, et à cette occasion la Mairie de Toul
(socialiste) a beaucoup aidé à l’organisation. Michelin prétend que dans cinq
ans, ils auront aidé à compenser les pertes d’emplois, mais en attendant ?
Et qui va payer, sachant que Michelin ne veut rien payer mais tout au plus
offrir son “assistance technique” ? On reçoit beaucoup de courriers,
d’emails de soutien. On apprécie tout le soutien moral des habitants et des
commerçants du Toulois qui savent que la fermeture de Kléber c’est le gouffre
économique annoncé.