Universités : L’« autonomie » version chacun pour soi

 

C’est le 1er août que la loi dite d’autonomie des universités a été adoptée. Au milieu de l’été, au pas de charge, trois mois après l’élection de Sarkozy. Autant dire que les gens qui ont fait passer cette loi sont convaincus d’avoir l’adhésion des étudiants et des personnels de l’enseignement supérieur…

Certes la loi n’est pas passée unanimement : les députés socialistes ont voté contre, mais en critiquant l’insuffisance de moyens alloués à la réforme sans rien rejeter sur le fond. Une ligne certainement en phase avec l’attitude déplorable du dirigeant de l’UNEF, Bruno Julliard, qui a dénoncé cet été ceux qui combattaient la réforme comme le faisant souvent pour « défendre le mandarinat », refusant de s’associer aux syndicats qui réclamaient le retrait pur et simple du texte. (Libération du 23 juillet).

La loi en question ne sort pas de nulle part. Elle vient après plusieurs réformes et en prépare d’autres. Le « plan d’ensemble » avait été annoncé dès mai 1998 dans le rapport U3M (Université du 3e Millénaire) signé du socialiste Jacques Attali (déjà), et relayé par le ministre de l’Education d’alors, Claude Allègre. Il était alors question, au nom de l’harmonisation européenne, de refondre les diplômes suivant le schéma 3-5-8, de promouvoir la constitution de « pôles d’excellence », d’accroître l’ingérence du capital privé dans l’organisation de l’enseignement supérieur et d’augmenter le pouvoir des présidents d’université.

L’objectif général est assez simple : il est d’arriver à une université à deux vitesses avec des formations courtes (bac + 3) plus ou moins au rabais accueillant la grande masse des étudiants, assurées par des enseignants plutôt que par des enseignants-chercheurs, et de promouvoir quelques pôles d’excellence assurant les formations longues, sélectives, bénéficiant d’enseignements dispensés par des intervenants ayant une activité de recherche – ce qui est la norme pour toutes les formations universitaires jusqu’ici. Le tout étant financé via l’autonomie à coups de contrats avec l’industrie et, à terme, par une augmentation conséquente des droits d’inscriptions. Bref, une fac à l’américaine.

On a connu ces dernières années l’étape préalable avec la mise en place du LMD qui a été la refonte globale des diplômes suivant le schéma préconisé : formation courte en L (Licence), et formation longue avec M et D (Master et Doctorat). Avec la loi de Pécresse, c’est maintenant l’autonomie et le renforcement du pouvoir des présidents qui sont en place. A l’image de ce qui était recommandé par le rapport Attali, citons-le : « Le président devra exercer à plein ses pouvoirs de gestion, notamment en matière d'affectation des locaux et des moyens aux équipes d'enseignement et de recherche, d'utilisation du patrimoine immobilier et foncier de l'établissement qu'il dirige et d'affectation des personnels qui dépendent directement de lui. » Sarkozy et Cie n’ont donc vraiment rien inventé. L’étape suivante est toute tracée : c’est celle des statuts des enseignants-chercheurs « à vie », une catégorie dont les libéraux qui nous gouvernent veulent se débarrasser.

Pour cela, rien de tel que de pouvoir s’appuyer sur des super-présidents aux super-pouvoirs, qui auront les mains libres pour choisir lesquels, parmi les personnels, pourront continuer à faire de la recherche scientifique (parce qu’assez « compétitifs » et inscrits dans les disciplines « d’excellence » de l’établissement) et lesquels seront renvoyés à double service d’enseignement. Comme la recherche scientifique est parallèlement réorganisée, les financements n’allant plus qu’à des projets à court terme au détriment des travaux inscrits dans la durée, on voit se dessiner un tableau affligeant de l’enseignement supérieur et de la recherche : une sélection à outrance des étudiants (par niveau, et par l’argent), des personnels chercheurs et enseignants-chercheurs précarisés, des financements tributaires du bon vouloir du patronat. Une situation que la gauche et la droite contribuent depuis dix ans à mettre en place.