EDITO

 

C’est bien parti pour ne pas s’arranger

21 avril 2002 : l’extrême droite arrive au 2e tour. 22 avril 2007 : c’est au tour de la droite dure, au programme libéral enrichi de lepénisme. Pas de « sursaut républicain » pour dénoncer l’immonde cette fois. Pourtant, si le score du candidat de l’UMP avoisine les 30 %, c’est bien parce qu’il est allé chasser sur les terres du Front national en reprenant ses thèmes fétiches. Suivi de près par la candidate du PS qui n’en peut plus d’ordre juste, d’encadrement militaire des jeunes délinquants et de décorum tricolore. Délire sécuritaire, identité nationale et autres billevesées, toute démagogie est bonne pour ces gens-là.

Nous voici avec la situation déplaisante mais programmée d’un second tour avec deux candidats rivalisant à qui incarnera au mieux la sinistre trinité des valeurs du travail, de la famille et de la patrie, au nom du renouveau de la vie politique. Les grands médias, politologues et représentants des deux principaux partis bourgeois que sont l’UMP et le PS se réjouissent de ce qu’ils appellent « la victoire de la démocratie ». Dis-moi ce qui te réjouit en politique, je te dirai qui tu es…

Certes, la participation est record et la trouille d’avoir à nouveau Le Pen au second tour a motivé les électeurs à se mobiliser massivement. Mais au-delà, rarement la démocratie représentative n’aura donné lieu à un tel jeu de faux-semblant. La représentation politique apparaît nettement plus à droite que le pays réel. Il y a bien sûr une base importante, consolidée, y compris dans les milieux populaires, qui se positionne entre la droite libéralo-autoritaire de l’UMP et l’extrême droite. Mais en face ? Nombre d’électeurs sont allés « voter utile », pour Royal ou Bayrou selon les calculs tactiques, quand leur idées allaient bien plus à gauche que le PS. Car on peut difficilement croire qu’en plus des 44 % ayant voté Sarkozy, Le Pen ou de Villiers, eux certainement par conviction, plus d’un tiers de l’électorat adhère à la soupe libéralo-traditionaliste de Bayrou ou Royal.

Le monde réel, ce sont les mobilisations massives répétées depuis 2002 : dans la rue avec la grève contre la réforme des retraites de Fillon en mai-juin 2003, puis dans les urnes avec la sanction du gouvernement UMP aux régionales de 2004 ;


dans la rue avec la mobilisation des lycéens au printemps 2005, puis dans les urnes encore en mai 2005 avec le rejet du traité constitutionnel européen ; dans les cités avec les émeutes de novembre 2005, dans la jeunesse enfin au printemps 2006 avec le mouvement sans précédent contre le CPE et la loi dite d’égalité des chances.

Toutes ces mobilisations ont signifié un rejet massif des politiques libérales menées par la droite comme par la gauche, de la société autoritaire promise par Sarkozy comme par Royal. Le monde réel n’est pas fidèlement représenté à l’issue du premier tour, parce que ces élections ont été un jeu de poker menteur. Aux jeunes qui ont rejeté le CPE, Royal propose le CPC, contrat première chance, sa copie presque conforme ! Quand les commentateurs se réjouissent du retour de la gauche au deuxième tour, on assiste au retour d’une gauche de droite, plus à droite que ne l’était celle de Jospin déjà convertie au libéralisme sur le plan économique et social (privatisations record, attaques en règle contre les services publics, préparation de la réforme des retraites).

Il n’y a pas deux projets qui s’opposent entre Sarkozy et Royal. Tous les deux sont d’accord que le Medef doit continuer à faire la loi, que la priorité doit être la « rentabilité » c'est-à-dire le profit des actionnaires du CAC 40, et que les besoins fondamentaux de la population doivent passer loin derrière. Les attaques libérales que le premier promet de conduire à coups de matraques, la seconde aimerait les faire passer en fraude par la soi-disant « concertation ». Quelle que soit l’issue des élections, c’est mal parti pour la grande majorité des travailleurs, des chômeurs, des immigrés et des jeunes. Chacun des deux candidats promet son lot d’attaques anti-sociales assorti d’un discours nauséabond pétri de nationalisme et de conservatisme. Sur le fond, l’un comme l’autre prépare le terrain au fascisme.

La consolidation des institutions, pourtant sérieusement ébranlées depuis cinq ans, la reconstitution du clivage entre appareils de gauche et de droite, tout ce qui réjouit les médias aux ordres paraît bien superficiel et ne résistera pas à la casse sociale annoncée. Beaucoup de temps a été perdu depuis cinq ans, où le sursaut provoqué par l’accession de Le Pen au second tour n’a pas suffi à enclencher la constitution d’une nouvelle force politique. Aujourd’hui, pour les mois et les années à venir, il ne reste que deux choses à faire. Premièrement continuer à lutter quotidiennement contre les attaques, occuper le terrain, la rue, faire converger et porter nos revendications haut et fort. Et deuxièmement, pour agir efficacement, constituer un front anticapitaliste large pour faire déboucher les luttes sur une véritable alternative : pas un changement de chef d’Etat ni une 6e république, mais le renversement d’un système inféodé au Medef et aux multinationales, et son remplacement par une société libre, autogérée, émancipée des exploiteurs.