Compte-rendu
Notes sur l’intervention de Paul Ariès
lors du Forum d’été « Ecologie et non-violence » du MAN, le 29
juillet 2008.
[Sans
obligatoirement en partager la totalité du contenu, Le Termite accueille
volontiers ces notes qui traitent de la décroissance, une question présente de
façon notable chez les anticapitalistes, et plus largement dans la sphère altermondialiste
depuis plusieurs années]
Paul
Ariès, politologue et écrivain, est l’un des rédacteurs en chef du journal La
décroissance et responsable de la rédaction du Sarkophage. Ses
recherches l’ont mené à écrire sur les phénomènes de manipulation et
d’oppression de notre société tels que la publicité et le harcèlement au
travail. Militant contre la « malbouffe » et la mondialisation, il
est depuis dix ans très actif dans la promotion des idées de la décroissance.
Son intervention
sur la décroissance cherche à montrer comment et pourquoi il faut en finir avec
le culte de la consommation. Partant du constat que 20% de la population
s’approprie 86% des ressources naturelles, force est d’admettre que notre
société n’est plus en adéquation avec les valeurs d’égalité et de partage de la
République. Pour que toute la population de la terre ait notre niveau de vie,
il faudrait trois planètes, et sept planètes pour avoir celui d’un américain.
La
société de consommation a conduit à la casse des cultures traditionnelles
et populaires. Nous consommons des objets et l’évolution de cette société
« consomme les humains ». Cette évolution mène à la violence, envers
les autres mais également envers soi (conduites à risque, suicides). C’est une
crise de la personne humaine, autant physique que morale, inscrite dans une
logique de dévoration du monde. Le vide identitaire et narcissique est le
reflet de la société de consommation. Une société réside dans la constitution
d’un réseau de lien social. Or aujourd’hui le lien social est un sous produit
de la société de consommation
Le
développement durable est une idéologie, pas un concept scientifique. La
décroissance est également une idéologie, mais son objectif est de saper
l’idéologie dominante pour permettre de créer d’autres concepts qui auraient
une dimension scientifique. Ce sont les crises actuelles qui rendront
nécessaire de trouver et d’appliquer ces nouveaux concepts.
L’ampleur
et l’imminence de ces crises (eau, énergies, climat, agriculture) n’ont
d’égal que l’ampleur et l’urgence des mesures à prendre. Il faut inventer de
nouveaux modes de vie justes socialement et écologiquement responsables. Le
choix n’est pas celui de la croissance ou de la décroissance. L’urgence est
qu’il faut agir pour ne pas aller dans le mur dont nous sommes si proches. Le
paysage actuel ne saurait être complet si l’on oublie les crises sociales et
politiques : militantisme, citoyenneté, décalage entre les élites et le
peuple. Il n’y aura pas de transformation, ni de décroissance sans démocratie.
La
notion de décroissance est sélective et ne s’applique pas à tous
les domaines. Ceux de la culture, de l’accès à l’eau doivent être croissants.
Alors que la décroissance doit toucher par exemple les budgets militaires, mais
pas seulement. Le changement de société n’est pas et ne peut pas être un retour
en arrière. Les sociétés évoluent mais ne reviennent pas en arrière. Celle de
l’après consommation est devant nous, elle est à construire. Le développement
durable, ou capitalisme vert, est le danger actuel. Il est question d’écologie
réparatrice et de croissance qui polluerait alors que beaucoup de croissance
dépolluerait !
La
décroissance n’est pas le développement durable et n’est pas non plus un retour
en arrière. La décroissance de tout pour tous est l’articulation de trois niveaux
de résistance.
Au
niveau individuel c’est la simplicité volontaire, la volonté de
vivre en conformité avec ses valeurs et aller dans le sens d’une vie
respectueuse des autres. Il ne faut cependant pas tomber dans le piège de la
religiosité et se méfier également de la capacité à la récupération du
capitalisme. C’est le piège dans lequel est tombé le commerce éthique et
équitable : nous nous révoltons mais nous continuons à participer à la
société de consommation. Le deuxième niveau est le niveau collectif qui
permet aux militants de s’organiser (Amap, coopératives). Le troisième niveau
est indispensable, c’est le niveau politique qui permet d’atteindre le
cadre législatif. Le bilan politique de la gauche montre une gauche aphone car
elle ne sait pas comment concilier la crise environnementale avec la justice
sociale.
Il faut
développer de nouveaux paradigmes : celui de l’usage et du mésusage
qui doivent entrer dans le champ politique. Ils induisent la notion de
gratuité. L’eau potable sera de plus en plus rare, il faut donc rendre l’usage
de l’eau gratuit et rendre son mésusage (gaspillage) payant. De manière
générale la gratuité est l’ennemi de l’hypercapitalisme. Autre paradigme le
Revenu Universel d’Existence, qui implique également la création d’un Revenu
Maximal Autorisé.
C’est une révolution anthropologique qu’il faut
mettre en place : changer notre rapport au temps, à la vitesse,
relocaliser les activités, changer notre rapport à la nature. La caractéristique
de nos civilisations est l’inversion du sacré et du profane : la
sacralisation du profane qui édifie en culte la technique et l’argent. Ce sont
les termes qu’emploie Anna Arendt pour définir le totalitarisme.
Notes
recueillies par M.P. Lambert