L’Appel d’outre-tombe
« Le communisme et les services publics »
« En ce moment l’on est en train de fabriquer
un communisme à l’usage des bourgeois : il est bien modeste ; il se
contente de la transformation de certaines industries en services
publics ; il est surtout peu compromettant ; au contraire, il
ralliera nombre de bourgeois.
On leur dit, voyez les
postes, elles sont un service public communiste, fonctionnant admirablement au
profit de la communauté, et à meilleur marché qu’elles ne pourraient le faire,
si elles étaient confiées à une compagnie privée, comme c’était autrefois le
cas. Le gaz, le chemin de fer métropolitain, la construction des logements ouvriers,
etc., doivent devenir eux aussi des services publics. Il fonctionneront au
profit de la communauté et bénéficieront principalement aux bourgeois.
Dans la société capitaliste la transformation de
certaines industries en service public est la dernière forme d’exploitation
capitaliste. C’est parce que cette transformation présente des avantages
multiples et incontestables aux bourgeois, que dans tous les pays capitalistes
on voit les mêmes industries devenues services publics (armée, police, postes,
télégraphes, fabrication de la monnaie, etc.).
Certaines industries
monopolisées, livrées aux appétits des compagnies particulières, deviennent des
instruments d’exploitation des autres catégories de la classe bourgeoise, tellement
puissants, qu’elles troublent l’ordre bourgeois tout entier.
Voici des exemples :
les télégraphes électriques, dès leur début en France, furent industrie de
l’Etat ; l’intérêt politique du gouvernement l’exigeait. En Angleterre et aux
Etats-Unis, où cet intérêt politique n’existait pas, ils furent établis par des
Compagnies privées. Le gouvernement anglais dut les racheter dans l’intérêt de
tous et surtout des spéculateurs, qui, dans le rachat, trouvèrent le moyen de
pêcher des bénéfices scandaleux. (…) Dans la société capitaliste une industrie
privée ne devient service public, que pour mieux servir les intérêts de la
bourgeoisie. (…)
Les militants du Parti
ouvrier peuvent et doivent dans leurs polémiques contre les publicistes et les
politiciens de la bourgeoisie, se servir de cette transformation d’industries
autrefois privées en service public, pour montrer comment les bourgeois
eux-mêmes sont amenés par la force des choses à attaquer leurs propres
principes, qui demandent que la société représentée par l’Etat n’enlève aucune
industrie à l’initiative privée ; mais ils ne doivent désirer et encore
moins réclamer la transformation de nouvelles industries en services publics,
et cela pour diverses raisons.
Parce qu’il est de l’intérêt du Parti ouvrier,
d’envenimer les conflits qui déchirent la classe bourgeoise, au lieu de
chercher à les apaiser ; ces antagonismes activent la désorganisation de
la classe régnante ; parce que les services publics augmentent la puissance
corruptrice des politiciens bourgeois ; parce que les ouvriers de l’Etat
ne peuvent comme les ouvriers de l’industrie privée faire des grèves et entrer
en lutte avec leurs exploiteurs. (…)
Tous ceux qui font
du socialisme d’Etat, c’est-à-dire qui demandent la transformation de certaines
industries en services publics administrés par l’Etat ou la commune, ne
s’occupent nullement du sort des ouvriers qui y travaillent : en admettant
même qu’ils voulussent améliorer leur sort, le pourraient-ils ? – S’ils le
peuvent qu’ils le prouvent, qu’ils commencent par soulager la dure situation
des travailleurs des postes, des tabacs, des chemins de fer, des forges de
l’Etat. – Les ateliers de l’Etat et de la commune sont des bagnes tout aussi
épouvantables, si ce n’est plus, que les ateliers privés. »
Paul Lafargue, « Le communisme et les services publics » (L’Egalité, 25 juin et 2 juillet 1882) http://www.marxists.org/